Dantès Louis Bellegarde est né le 18 mai 1877 à Port-au-Prince. Issu
d'une famille qui fut proche des instances politiques haïtiennes dès les
origines, il est d'abord élève au lycée Pétion, puis mène des études
de droit et devient avocat. Il s'intéresse aux débats touchants à la généralisation
de l'instruction publique depuis les années 1885-1890. Il sera en 1897
lui-même professeur au lycée Pétion. Co-fondateur, avec Pétion Gérôme,
de la revue littéraire La Ronde (1898 à 1902), il marque ainsi son
attachement à un courant de pensée ouvert sur la perspective de la
modernité et un certain universalisme, par opposition aux écoles dites
patriotiques qui en appellent à un strict particularisme haïtien.
En 1904, il est nommé directeur de l'Instruction publique, et commence
à mener une politique de réforme. Mais il est révoqué en 1907, en raison
de ses opinions firministes. Il devient comptable puis chef de service à la
Banque nationale, tout en collaborant à la revue Haïti littéraire et
scientifique (1911-1912). Il devient le secrétaire particulier de
Michel Oreste pendant sa courte présidence (1913-1914). De retour à la
Banque Nationale, il prend conscience de l'imminence de l'occupation américaine.
De 1918 à 1921, sous la présidence de Dartiguenave (1915-1922),
Bellegarde est secrétaire d'État de l'instruction publique puis de
l'agriculture. Pendant cette période d'occupation et de guerre, il mène un
travail acharné pour maintenir en état le système d'enseignement, en
cherchant à augmenter notamment les salaires des instituteurs, et il
participe par ses écrits, ses discours et ses articles au sursaut national,
aux côtés de Léon Laleau et de Jean Price-Mars, tout en se démarquant de
ce dernier sur la question de l'indigénisme.
Nommé en 1920 à la cour internationale de justice de La Haye, il
commence en 1921 une carrière diplomatique. Il participe au second congrès
Pan Africain organisé par W.E.B. Du Bois en tant que président honoraire.
Il est nommé ministre plénipotentiaire à Paris, délégué d'Haïti à la
Société des Nations, à Genève, où il dénonce régulièrement
l'occupation américaine. Il est aussi le représentant d'Haïti au Vatican.
Bellegarde est dans ces années considéré comme un très grand orateur, et
ses interventions sont largement commentées. En 1922, il est directement
nommé par le gouvernement français Commandeur de la Légion d'honneur,
distinction rarement accordée à un étranger. En 1930, il est ambassadeur
à Washington, D.C.
Il est rappelé en Haïti en 1936. Il devient, jusqu'en 1941, Directeur
de l'École Normale Supérieure, qui forme les enseignants et les cadres de
l'administration de l'Instruction publique. Il sera enfin chargé de
missions à Washington en 1946 et en 1957 tout en représentant souvent Haïti
lors de rencontres internationales, notamment en Amérique centrale et en Amérique
latine. Il est régulièrement honoré et décoré lors de ses déplacements.
Régulièrement honoré et décoré lors de ses déplacements, Bellegarde
meurt à Port-au-Prince le 16 juin 1966.
L'œuvre de Bellegarde, inscrite dans son temps et dans les
circonstances, est nourrie par le positivisme comtien et le bergsonisme. Ses
essais sont souvent composés de recueils d'articles liés à l'actualité
ainsi que de discours prononcés lors d'occasions officielles. Mais
Bellegarde a également imprimé sa trace dans l'enseignement haïtien par
la rédaction d'ouvrages scolaires, en particulier dans le domaine de
l'histoire. Politiquement marquée, cette œuvre radicalement opposée «aux
doctrines malfaisantes du racisme athée et du bolchevisme sanguinaire» (Haïti
et ses problèmes, 1941) ne parvient pas cependant à se départir d'une
attitude ambiguë à l'égard de la France («Je suis certain de rester
[...] dans la tradition de cette culture française, faite de clarté, de
sociabilité et de sympathie, et dont M. Daniel-Rops, dans un récent
article du Temps Présent de Paris, reconnaît M. Sténio Vincent, M.
Léon Laleau, M. Clément Magloire, M. Abel Léger, le docteur Price-Mars,
et moi-même, à côté de beaucoup d'autres, comme les tenants fidèles en
Haïti»), comme à l'égard des populations les plus pauvres d'Haïti,
souvent représentée comme «arriérées». Mais sa critique tenace de
l'enfermement dans une identité haïtienne peu ou mal définie peut être
lue aussi comme une critique a priori des errances duvaliéristes.
On trouvera dans Au Service d'Haïti de multiples témoignages de
ses contemporains, qui montrent le large éventail des activités de
Bellegarde, ainsi que les marques d'une renommée internationale
exceptionnelle.
– Yves Chemla

Oeuvres principales:
Essais:
- L'Occupation américaine d'Haïti. Port-au-Prince: Chéraquit,
1924; L'Occupation américaine d'Haïti, ses conséquences morales
et économiques. Port-au-Prince: Chéraquit, 1929; Éditions Lumière,
1996.
- Pages d'histoire. Port-au-Prince: Chéraquit, 1925.
- La République d'Haiti et les États-Unis devant la justice
internationale. Paris: Librarie de Paris-Livres, 1924.
- Pour une Haïti heureuse... 2 vols. (1. Par l'éducation. 2.
Par l'éducation et le travail.) Port-au-Prince: Chéraquit,
1927-29.
- Un Haïtien parle. Port-au-Prince: Chéraquit, 1934.
- La Résistance haïtienne (l'occupation américaine d'Haïti);
récit d'histoire contemporaine. Montréal: Beauchemin, 1937.
- La Nation haïtienne. Paris: J. de Gigord, 1938.
- Haïti et ses problèmes. Montréal: B. Valiquette, 1941.
- Dessalines a parlé. Port-au-Prince: Société d'éditions et
de librairie, 1948.
- Haïti et son peuple. Paris: Nouvelles Éditions Latines,
1953.
- Histoire du peuple haïtien, 1492-1952. Port-au-Prince, 1953.
- Au Service d'Haïti; appréciations sur un Haïtien et son oeuvre.
Port-au-Prince: Theodore, 1962.