Pierre Eustache Daniel Fignolé, fils d'une repasseuse professionnelle et
d'un instituteur rural - mort en 1927 - vit le jour dans le département de la
Grande Anse, plus précisément à Pestel en 1913.
En 1928, Fignolé se rendit à Port-au-Prince, à la recherche du pain du
savoir; quelques mois plus tard, sa mère le suivit dans la capitale,
désirant continuer d'entourer son fils de ses soins attentifs. En dépit de
contraintes financières, Daniel Fignolé fit de bonnes études classiques et
brilla par ses aptitudes ainsi que par son goût pour les lettres et les
mathématiques. A la fin de ses humanités, il obtint une chaire au Lycée
Pétion, où il enseigna les mathématiques et la cosmographie, ainsi que la
philosophie au Petit Séminaire Collège Saint-Martial. Bientôt, les langues
mortes - le latin et le grec - s'ajoutèrent à son programme d'enseignement.
Fignolé dispensa également des cours de géographie d'Haïti à l'Institut
Tippenhauer, au Collège de Port-au-Prince et dans d'autres centres
d'éducation.
Vers 1940, sa réputation de professeur de mathématique se répandit à
l'échelle nationale. Il conçut donc l'idée de fonder une école primaire
sur la rue Magloire Ambroise.
Daniel Fignolé milita aussi dans le journalisme. En 1942, en collaboration
avec Jean Montès Lefranc, Rodrigue Casimir, B. Delva, T. Lauture et Max
Isidore, il fonda Chantiers, revue politique, littéraire,
scientifique. La publication de ce mensuel fut suspendue après la parution de
son troisième numéro par le gouvernement d'Élie Lescot. Puis vint La
Famille, organe du bureau d'action féminine du MOP, qui vit le jour
à Port-au-Prince le 14 novembre 1948, fondé par Daniel Fignolé et sa femme
Carmen Jean-François Fignolé, qui en assura aussi la direction ; Remponette
Dambreville y occupa le poste de rédactrice en chef, Marie Beauplan Julien,
celui de gérante, Raymonde Valéry et Anna Désir, celui d'administratrices.
Installé sur les hauteurs de Bel-Air avec sa famille, partageant le
quotidien de la gent ouvrière, professionnelle et prolétairenne, Daniel
Fignolé, fort du désir d'aider à la promotion des masses rurales, créa un
parti politique vers 1946 sous le vocable «Mouvement ouvrier paysan»
- le MOP. Ce parti, dont le poste de secrétaire général était occupé par
François Duvalier, constitué au nom des fractions laborieuses et
défavorisées du pays, se targuait de prôner des idéaux de fraternité et
de progrès dans le travail, l'éducation et l'avancement social.
Président du Front révolutionnaire haïtien, candidat à la députation
aux élections de 1946, suite au renversement du président Elie Lescot,
Fignolé dut concéder la victoire à l'ingénieur Georges François. Sa
défaite provoqua un tumulte populaire, conséquence de sa grande popularité
et de sa transcendance sur le peuple. Il soutint avec flamme la candidature à
la présidence d'Haïti de Démosthène Pétrus Calixte, homme de Sténio
Vincent, candidat malhabile évincé par Dumarsais Estimé, dont l'esprit
progressiste a vite rallié le peuple à sa politique gouvernemental.
Nommé secrétaire d'Etat de l'Éducation nationale et de la Santé
publique dans le cabinet d'août 1946, Daniel Fignolé s'empressa de mettre
sur pied le Lycée Toussaint-Louverture au Morne-à-Tuf, des lycées à
Hinche, à l'Arcahaie, à Petit Goâve, en vue de faciliter l'accès à
l'instruction aux jeunes citoyens de sa classe et «contrebalancer,, à
l'université, la prestation des petits bourgeois qui avaient reçu leur
formation à l'Institut Saint-Louis de Gonzague et au Petit Séminaire
Collège Saint-Martial.» Cette alliance politique avec Dumarsais Estimé ne
dura guère. En effet, suite à un désaccord qui l'opposa à un ministre,
Fignolé démissionna le 24 octobre de la même année. Il s'engagea alors
dans le mouvement syndicaliste. Aussi, il fit porter les émoluments
quotidiens des ouvriers de la HASCO (Haitian American Sugar Company) de 1,50
à 5 gourdes.
En 1950, Fignolé fut enfin élu député de la circonscription de
Port-au-Prince. Il présenta sa candidature aux présidentielles de 1957,
combattant farouchement la candidature de François Duvalier qu'il qualifiait
de «petit médecin de campagne, sournois et cynique». Daniel Fignolé fut
vite gagné à l'astuce de certains adversaires qui, dans le but inavoué de
l'écarter définitivement des prochaines joutes présidentielles, le
pressaient d'accepter la présidence provisoire de la République : «Les
candidats à la présidence, A. Jumelle et François Duvalier, en présence de
la crise exceptionnellement grave que traverse le pays, ont décidé, dans
l'intérêt supérieur de la patrie, de confier provisoirement la présidence
de la République au professeur Daniel Fignolé » (le 25 mai 1957).
Le
13 juin suivant, les forces de l'armée le renversèrent du pouvoir,
procédèrent à son arrestation et l'expédièrent à l'étranger. Embarqué
à bord de la Crête-à-Pierrot, Daniel Fignolé transita à Miami puis
atteignit New York par la Eastern Airlines. Lui succéda un militaire de haut
rang, Antonio Th. Kébreau, intégré dans un Conseil militaire de gouvernement
qui prépara les élections législatives et présidentielles qui vinrent
triompher François Duvalier le 22 septembre 1957.
Frappé par la maladie, Daniel Fignolé regagna sa terre natale le 20 mars
1986, après la chute des Duvalier, miné physiquement et intellectuellement
vieilli. Une foule immense, agitée, excitée, en délire, vint accueillir à
l'aéroport national de Maïs Gâté cet homme qui savait subjuguer par son
incroyable charisme. Les plus jeunes, ceux qui ne connaissaient pas les traits
de ce véritable mythe, de ce grand homme qui s'était battu au nom de la
«majorité silencieuse, incomprise et méprisée», se pressèrent en grand
nombre pour lui offrir spontanément l'hommage de leur estime.
Son état s'aggravant, Daniel Fignolé se fit soigner aux États-unis. Sans
succès. L'homme fougueux, audacieux, au verbe haut et sonore, le tribun
magnifique, lui qui avait offert sa vie en holocauste pour que des jours
meilleurs brillent enfin sur le monde haïtien, s'éteignit dans la nuit du 26
au 27 août 1986.
Au cours de sa carrière, Fignolé a publié de nombreux écrits :
- Géographie des frontières; L'instruction publique en Haïti, 1804-1859
(Port-au-Prince, 1945)
- «Mouvement ouvrier paysan»
- «Institut mopique»
- «Cahiers du mopisme»
- Au service de la jeunesse; l'Instruction publique en Haïti, 1859-1879
(Port-au-Prince 1947)
- «Le Nord-Ouest dominicain», publication du Bureau (1948)
- «Notre Neybe ou leur Bahoruco» (1948)
- Cuba et Haïti (Port-au-Prince, 1949)
Le Nouvelliste, par la plume de Leslie F. Manigat -futur président
d'Haïti - rendit ainsi hommage à l'illustre disparu :
«La mort de l'ex-président Daniel Fignolé, survenue en effet à
Port-au-Prince, attendue sans surprise par tous ceux qui étaient au courant
de la cruelle maladie qu'il supportait stoïquement, n'en est pas moins
bouleversante pour la conscience nationale qui sait se souvenir. Il était en
effet un pan d'un demi-siècle d'histoire vivante. Le dernier échantillon de
ces hommes qui ont fait les événements de 1957, les Jumelle, les Déjoie,
les Duvalier...
«Son premier et plus beau titre de gloire demeurera celui de professeur
que lui disputera, sans doute, aux yeux de l'histoire, celui d'être resté le
plus intègre des hommes politiques de sa génération. Il a parcouru tous les
échelons de la vie politique, des honneurs au calvaire. Professeur de lycée
et intellectuel opposant avant 1946, tribun populiste, leader syndical et
idole des masses noires port-au-princiennes à la "révolution de
1946", député sous Paul Eugène Magloire, candidat à la présidence et
président provisoire en 1957, il aura été pratiquement tout le temps
dans l'opposition si on excepte ses deux brefs intermèdes ministériels et
présidentiels.
«Homme du "pays profond", d'humble origine, il ne péchait
pas par humilité, sans doute parce qu'il était trop conscient des trois
atouts majeurs qui ont fait sa force et sa gloire politiques : une
intelligence tribunitienne classique, monumentale et élégante, voire
précieuse, quand elle s'exprimait en français, vibrante de lumière et
ondulante comme une flamme quand elle s'exprimait en créole, dans les deux
cas, solide et articulée à la manière d'un gothique flamboyant; un
patriotisme socialisant qui lui a valu d'être l'auteur d'une nouvelle irruption
des masses dans la vie politique au service de l'intégration sociale et de
l'intérêt national mais aussi de créer la peur sociale qu'inspirait le
fameux "Rouleau Compresseur"; une verticalité orgueilleuse, à la
manière d'un "poto-mitant" vodou, verticalité rigoureuse, à
l'image des mathématiques qu'il avait enseignées, verticalité pointilleuse
et ombrageuse qui a été à l'origine d'une intransigeance polémique
passionnée qui le rendait parfois injuste.»
La presse haïtienne consacra à ce bel échantillon national des articles
émouvant coiffés de titres élogieux tels :
- «Daniel Fignolé, leader populiste» ;
- «La mort d'un grand haïtien» ;
- «Le professeur Daniel Fignolé, ex-président d'Haïti» ;
- «Pour dire adieu au prodigieux timonier national, Daniel
Fignolé»;
- «La lourde succession de Daniel Fignolé» ;
- «Daniel Fignolé : Sa vision de l'indépendance» ;
- «Hommage à un grand haïtien» ;
- «Hommage d'un élève à son professeur, Daniel Fignolé» ;
- «Daniel Fignolé : Un pan d'un demi-siècle d'histoire vivante» ;
etc.,
par Ernst et Ertha P. Trouillot
Encyclopédie Biographique d'Haïti
Les Éditions SEMIS inc.,
(c) Ottawa 2001