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Histoires de Voyageurs et émigrants


 

N. A. BEAULIEU
Divers renseignements concernant la question de l'émigration
Archives du Ministère des Affaires Etrangères, dossier 2020, année 1848 

N. A.
BEAULIEU

Ministre résident à Washington
de mai 1845
à août 1849

 

Les origines des projets d'émigration contrôlée par le Gouvernement belge vers les Etats-Unis, les causes et les buts de ce que l'on a appelé pendant une dizaine d'années "tentatives de colonisation",  sont biens résumés dans cette note du mois d'août 1848 du Ministère des Affaires Etrangères. L'attention, à l'époque avait été attirée vers le Missouri, ou un Belge, Pierre Dirckx, s'était installé près de Taos. et proposait d'accueillir des colons belges au Missouri. 

Note du Ministère des Affaires Etrangères :

Mr de Theux, s’occupa, en juin 1847, d’un projet de colonisation dont voici les bases :

Le but du gouvernement était de se décharger, au prix d’un sacrifice une fois fait, de l’entretien d’une partie des indigents de nos malheureuses provinces.

A cet effet, on eut organisé l’émigration de 500 à 100 familles aux Etats-Unis, dans l’espoir que le succès d’une pareille entreprise exciterait les communes, les institutions de bienfaisance ou même les associations particulières à continuer l’œuvre du gouvernement – on eut commencé par transporter 100 familles, à titre d’essai. Le siège de la colonie aurait été la partie de l’Etat de Missouri située non loin du confluent du Missouri et du Mississippi, où déjà se trouve une colonie catholique qui paraît fleurir.

On dressa un devis des dépense.

Mr le Ministre Résident de Belgique à Washington fut chargé :

1°) de contrôler le devis arrêté à Bruxelles
2°) de présenter les dispositions avec lesquelles le gt américain accueillerait l’entreprise 
3°) de s’assurer du prix auxquelles les terrains nécessaires pourraient être obtenus
4°)d’indiquer pendant combien de temps il serait nécessaire de pourvoir aux besoins des colons, avant qu’ils puissent se suffire à eux-mêmes
5°) enfin, de donner son avis sur la question de savoir endéans quel temps une famille de colons de 5 personnes, cultivant, par exemple, un lot de 20 acres, serait à même de rembourser une avance de 1000 frs.

Les instructions ont été envoyées à Mr Beaulieu le 12 août 1847. Jusqu’à présent, la réponse de Mr le Ministre Résident n’est point arrivée.

Mr de Theux, en quittant le ministère de l’Intérieur, a donc laissé l’affaire à l’état d’instruction !  


Dans le rapport sur le coût et la faisabilité d'une telle entreprise  qu'il envoya en retour, Beaulieu, Ministre Résident belge aux Etats-Unis, attira aussi l'attention vers les régions de l'est des Etats-Unis, la Virginie de l'ouest et la Pennsylvanie.

La réponse de Beaulieu, qui recommande d'écouter les propositions faites par un Mr Beleke, investisseur américain du canton d'Elk en Pennsylvanie, allaient attirer l'attention du gouvernement vers les possibilités d'émigration vers cet Etat.

Lettre adressée à Mr D'Hofftensmidt, ministre des affaires étrangères :

New York, 15 juillet 1848, 

Par dépêche en date du 12 août dernier, votre honorable prédécesseur m'a invité à lui faire parvenir divers renseignements, demandés par M. le Ministre de l'Intérieur, concernant la question de l'émigration.

Désirant lui adresser un travail complet dont les éléments ne se trouvaient pas sous ma main, je sollicitai l'autorisation de me rendre dans l'ouest pour y reconnaître les lieux, apprécier les chances offertes à nos compatriotes, me rendre compte des difficultés que leur caractère, leurs habitudes, ainsi que les circonstances locales sont de nature à leur susciter, et rechercher les moyens de leur épargner, autant que possible, ces épreuves qui souvent font regretter aux émigrants le pauvre foyer qu'ils ont abandonné.

Cette autorisation ne m'ayant pas été accordée, je me suis vu forcé de rétrécir considérablement le champ d'exploration que je m'étais tracé d'abord. j'ai adressé des questions à divers personnages que je regardais ou qui m'étaient indiqués comme les plus capables de les résoudre. Cette enquête a été nécessairement longue, car les sources d'information étaient pour la plupart loin de moi, et les Américains, malgré leur complaisance naturelle, sont trop occupés de leurs propres affaires pour songer à faire celles des autres. Non pas qu'ils soient très ménagers de leur temps; ils en perdent beaucoup en allées et venues inutiles; mais en dehors des heures qu'ils consacrent à leurs professions, ils sont peu disposés à mettre la main à la plume; en revanche ils aiment à causer et causent beaucoup. Il en résulte qu'il n'est pas malaisé d'obtenir des informations verbales quand on prend la peine d'aller les chercher; il est, au contraire, très difficile d'en obtenir d'écrites. Ceci explique, d'un côté, pourquoi j'avais demandé l'autorisation de visiter les lieux et, d'un autre côté, justifie le retard qu'a éprouvé l'envoi des renseignements qu'il s'agissait de recueillir.

Mes investigations se sont renfermées dans les limites de la dépêche de votre honorable prédécesseur, confirmée par la vôtre du 25 mars dernier. En voici les résultats.

Tous mes auteurs sont d'accord sur un point : c'est que pour mener à bien une entreprise aussi considérable que celle de l'établissement de 100 familles, il est indispensable d'envoyer préalablement sur les lieux deux ou trois hommes compétents pour choisir le terrain. Ces agents doivent venir d'Europe. Il serait dangereux de se confier à des indigènes qui généralement regardent les émigrants comme une proie qui leur est dévolue. Cela est si vrai que l'on admet comme un fait prouvé par l'expérience que la meilleure condition de succès pour un émigrant isolé est d'être pauvre.

Le choix de l'emplacement fait avec discernement, et il devra être fait avant l'hiver, on construira quelques maisons de boulins (Loghouses) afin que les colons trouvent en arrivant un abri convenable; et, aussitôt que possible, la terre sera préparée sur une étendue d'au moins 100 acres pour la culture du maïs qui se sème au mois de mai. En vue des constructions qui devront se faire plus tard, il sera utile de tuer, comme on dit ici, au moment favorable, le plus grand nombre d'arbres possible; cela se fait en les dépouillant de l'écorce et de l'aubier. Enfin, quelques temps avant l'arrivée des colons, on achètera, pour chaque famille, une vache, des porcs, de la volaille, du blé et de la viande salée. L'essentiel est qu'ils aient de quoi se nourrir afin qu'ils puissent, sans perdre de temps, s'occuper des travaux nécessaires pour assurer leur subsistance pendant l'automne et l'hiver suivant.

Tout dépend de la première année, et le succès de celle-ci dépend de la santé de l'émigrant, car il a beaucoup à faire et il doit tout faire par lui-même. Ces commencements sont durs. Ils exigent des hommes forts et robustes; les vieillards y succombent : climat, langue, outils et instruments, tout est différent de ce qu'ils ont laissé; le regret les tue bien vite. Quant aux hommes jeunes, ils ont peu de peine à se faire à leur situation nouvelle et s'accoutument facilement aux outils américains qu'ils trouvent en général meilleurs, plus commodes que ceux dont on se sert en Europe. Je dois cette observation à mon collègue de Suède qui vient de visiter les établissements Norvégiens dans le Wisconsin.

Les opérations, les soins à confier aux éclaireurs belges, d'après ce que je viens d'avoir l'honneur d'exposer, appellent l'attention sérieuse du gouvernement du Roi sur le choix de cet agent. Il importe qu'ils joignent la probité la plus sévère à une intelligence et à des connaissances pratiques au niveau d'une pareille mission.

En supposant que nos émigrants aillent s'établir dans l'Etat du Missouri, c'est à la Nouvelle-Orléans qu'il faudra les diriger. Il n'y a pour y arriver qu'une saison : elle s'étend du 1er décembre au commencement de juillet; plus tôt ou plus tard, ils seraient exposés à prendre la fièvre jaune ou du moins des fièvres bilieuses qui ruineraient leur santé pour longtemps. La vie est chère à la Nouvelle-Orléans; ils ne devront pas s'y arrêter; ils pourront passer des navires qui les auront amenés, à bord des bateaux à vapeur qui sillonnent le Mississippi; il y en a qui partent tous les jours de ce port pour St Louis qui est, dans l'Etat en question, la meilleure place de débarquement.

St Louis est, en effet, situé à peu de distance du confluent du Missouri et du Mississippi. C'est de là que partent tous les bateaux à vapeur qui naviguent sur le premier et sur la partie supérieure du second. Les routes qui conduisent dans l'intérieur du pays sont, autour de cette ville, plus nombreuses et en meilleur état que partout ailleurs.

Le prix du passage de la Nouvelle-Orléans à St Louis varie suivant le nombre des émigrants et celui des steamers en partance. Il n'excède jamais 2 dollars ( frs. 10.20 ) par tête; mais la nourriture est aux frais des passagers. Le voyage dure environ huit jours.

D'après les tableaux officiels publiés à la fin de l'année dernière, il y avait environ 25 millions d'acres de terres à vendre dans le Missouri, au prix de 1 dollar 25 cents ( frs. 6.75 ) l'acre. Les plus fertiles se rencontrent au nord du fleuve qui a donné son nom à l'Etat. C'est cette contrée que l'on a nommée le Jardin de l'Ouest ( Garden of the West ). La moitié environ des terres non vendues y est située; on en trouve peu sur les cours d'eau navigables.

La question de salubrité posée par M. le Ministre de l'intérieur ne peut guère se résoudre qu'en général. Tous les pays qui se défrichent sont plus ou moins malsains. Dans l'ouest des Etats-Unis, il n'y a peut être pas un seul coin de terre qui ne soit infecté par les fièvres intermittentes. Ces maladies règnent moins cependant dans les cantons montagneux où la roche domine que dans les plaines et les prairies; elles sévissent surtout dans le voisinage des rivières. On peut s'en préserver en soignant sa diète, en fuyant le soleil de midi, en ne s'exposant pas à la pluie, à la rosée, ou du moins en ne les bravant que sous des vêtements chauds, précautions que les émigrants ne veulent pas ou ne peuvent pas toujours observer.

Quant aux frais de premier établissement, il ne paraît pas qu'ils puissent être estimés à moins de deux mille francs par famille. D'après les informations que j'ai sous les yeux, voici de quels éléments ce chiffre se compose :

A. Instrument de labour et outils que l'on se procure à St Louis où on les trouve meilleurs et à meilleur marcghé qu'en Europe : 
Une charrue
Une bêche, une pelle
Deux fortes chaînes
Une faulx
Une hache américaine
Une scie
Deux couteaux
Râteaux, fourches
Un marteau et 10 # de clous
Une herse
10.00 $
2.00 $
8.00 $
5.00 $
2.00 $
1.00 $
.75 $
1.00 $
1.25 $
5.00 $
________

27.00 $

Les petits outils et ustensiles faciles à emballer pourront être apportés d'Europe. -
Quatre familles pourraient acheter une charrette à frais communs. Cela vaudrait mieux que le traîneau à un cheval dont l'émigrant américains se sert, en hiver comme en été, pour le transport du bois, de la récolte, etc.
Une charrette coûte
Deux chevaux

50.00 $
100.00 $

________

150.00 $

Le quart :

37.50 $

B. Bétail :
Une vache
Deux boeufs
Porcs, brebis, volaille etc.

12.00 $
38.00 $
15.00 $

________

65.00 $

C. Terrain et constructions :
La moindre parcelle de terres publiques qui se puisse acheter est de 40 acres; 
à $ 1.25, cela fait . . . . . . . . . . . . . 

50.00 $

Le défrichement à $ 10.00 par acre, revient, frais compris, à . . . . . . . . .

100.00 $

Une maison de boulins (Loghouse)

40.00 $

________

190.00 $
D. Nourriture de la première année :
On admet qu'indépendamment des produits de la laiterie, de la chasse et du potager, l'émigrant peut se bien nourrir à raison de 5 cents par jour et par tête, soit 25 cents pour une famille de 5 personnes; pour l'année . . . . . . . . . . . .
91.25 $
________
Total 420.75 $
ou environ 2270 francs qui se réduisent à un peu plus de 2000 francs si l'on supprime la charrette ( A. ) qui, pour être très utile, n'est cependant pas indispensable.

Avec cette somme, l'émigrant bien dirigé pourra se faire une existence si pas aisée, au moins passable; il aura un asile et les nécessités matérielles de la vie; mais il gagnera peu. Les produits de la terre sont à vil prix dans tout l'ouest des Etats-Unis : le maïs se vend, par exemple, 12½ cents (environ 65 centimes), le froment 37½ cents et tout au plus 50 cents ( frs. 2.00 à 2.50 ) le boisseau.

Tout ce qu'il pourra faire les premières années sera de cultiver 10 acres sur les 40 qu'il aura acquis; il en mettra 4 en maïs, 5 en blés et 1 en divers fruits qui produiront

Les premiers, à 6 boisseaux par acre, 240 boisseaux à 12½ cents 30.00 $
des seconds, à 24 boisseaux par acre, 120 boisseaux à 37½ cents 45.00 $

__________

Total 

75.00 $

ou environ trois cents francs.

Ce produit suffira à la subsistance de la famille, ainsi qu'à la nourriture de son bétail, mais il n'en restera rien pour la vente. Ses profits seront donc nuls la première année; ils le seront encore plusieurs années ensuite selon une foule d'éventualités et de circonstances dont les principales seront : des saisons plus ou moins favorables, la création de bourgs et villes dans le voisinage qui lui ouvre un petit débouché, l'industrie du colon, sa santé surtout dont la préservation est une condition indispensable pour l'extension des cultures, car, je le répète, il ne doit et ne peut compter que sur lui-même. Dans tous les cas, ces profits ne seront jamais considérables.

Dans un pays où la terre est à bon marché et les produits de peu de valeur, où la main d'oeuvre est rare, l'agriculture doit être exploitée en grand pour donner des bénéfices : il faut des machines qui suppléent aux inconvénients signalés et font le travail attribué en Europe aux valets de ferme. D'ailleurs la production de céréales pour l'exportation est la principale perspective de gain offerte aux cultivateurs de l'ouest des Etats-Unis. Cette perspective est fermée aux petits colons qui n'ont pas les moyens de faire subir à leurs produits les préparations nécessaires. L'élevage des bestiaux qui exige de vastes pâturages et qui est pour une grande exploitation une source notable de profits, leur est également interdite.

L'émigrant américain dans le Far West ne spécule jamais sur les produits de la terre qu'il a achetée, mais sur l'augmentation de la valeur de cette terre. Il l'a payée $ 1.25 l'acre; avec le temps elle vaudra jusqu'à 10 dollars (54 francs). Il attend ce moment, puis va planter ailleurs sa tente et recommence la même spéculation sur une plus large échelle.

J'ai dit tout à l'heure que le prix des terres publiques était de 1¼ Dollar l'acre. On peut en obtenir à meilleur marché en achetant les scripts ou warrants des soldats qui ont fait la guerre du Mexique. Le warrant en question est un bon pour 160 acres de terres au choix du porteur. Sa valeur est de 200 dollars (1080 francs), mais on les vends pour 150 (810 francs). Les 4000 acres nécessaires aux 100 familles qu'il s'agirait d'établir, à raison de 40 acres par famille, coûteraient ainsi 3750 dollars au lieu de 5000, achetés au cours officiel.

Les Etats de l'ouest des Etats-Unis ne sont pas les seuls où il y ait des terres à bon marché. On en trouve aussi dans l'Ouest de la Virginie. Elles appartiennent à des particuliers. Dernièrement on en a offert 100000 acres pour 10000 dollars (54000 francs). Ce sont principalement des pâturages. La brebis y prospère d'une manière toute particulière. En général, c'est de cette contrée que les Etats de l'Est tirent les bestiaux destinés à leur consommation.

Si nos émigrants allaient s'y établir, n'y trouveraient ils pas un meilleur sort que dans les solitudes du Far West ? On élèverait un nombreux bétail sur 100000 acres et l'on tirerait de cette industrie un revenu plus considérable que du défrichement des terres du Missouri ou des fermes éloignées des grandes villes ne rapportent pas 2 pour cents. Elles donnent 3 pour cent dans l'Ohio et le Kentucky. 2½ pour cent dans l'Illinois, un peu plus de 2 pour cent dans le Wisconsin et moins de 2 pour cent dans l'Indiana.

L'élevage des bestiaux dans les pâturages de l'Etat de Virginie serait plus fructueux. Pour ne parler que des bêtes à laine, je suppose quatre têtes par acre qui, au prix indiqué plus haut, coûterait 25 cents (Frs. 1.35) et rapporterait brut 3 dollars (Frs. 16.20), chaque brebis donnant 3 livres de laine à 25 cents. Les dépenses se borneraient aux gages des bergers et aux frais de lavage et de transport, car les taxes sont si peu élevées qu'elles n'entrent pas en ligne de compte. Quant à la nourriture des brebis pendant l'hiver, comme les hivers sont courts en Virginie, elles seraient aussi fort peu considérables.

L'on fait aux Etats-Unis grande consommation de laine; tout le monde y porte des habits de drap et couvre de tapis tous les planchers de sa maison, ce qui dispense de les laver. Ces tapis et ces draps se fabriquent en grande partie dans le pays.

La colonisation des terres de l'Etat de Virginie, si les renseignements qui précèdent sont exacts, ce dont il faudrait s'assurer par une inspection des lieux, présente donc des avantages que ne saurait avoir un établissement dans les déserts de l'Ouest. M. le ministre de l'intérieur décidera lequel de ces deux moyens est le plus propre à remplir ses vues. Il y a un troisième moyen et c'est celui dont je conseillerais l'adoption : ce serait de traiter avec la société de Ste Marie dont j'ai eu l'honneur, Monsieur le Ministre, de vous adresser un des agents  (M. Beleke - il y a quelques mois ). Les données qu'il aura mises sous vos yeux me dispensent d'entrer dans des détails sur ce sujet.

Agréer, Monsieur le Ministre, les assurances de ma considération la plus haute.

Le Ministre-Résident

Beaulieu