Malli 1855
Belgians in
the Civil War
Emigrants arrival Belgians in America

links

EXCURSION

A

NEW-YORK

EN 1850

-*°*-

Sources

Sainte-Marie, Penn.
Lorena

N. REISS

Chirurgien-major, chargé par le gouvernement d'accompagner un groupe d'émigrants embarqués à bord du trois-mâts américain Lorena. Parti d'Anvers le 8 septembre 1849, il arrivera à New-York le 19 décembre suivant. 

Il devait accompagner ces émigrants flamands jusqu'au lieu de destination : la colonie de Sainte-Marie, Pennsylvanie; mais arrivé à Philadelphie, il retourna à New-York. Le consul général àNew-York lui avança alors des fonds pour repartir vers la colonie. 

Dans le récit ci-contre, il ne parle nulle part que parmi les émigrants allemands qu'il décrit, se trouvent les Belges qu'il doit accompagner. Il les cite sans plus, mes les rapports (voir Sainte-Marie) qu'il envoya sont plus précis.

 


AVANT-PROPOS

La relation d'un voyage est un tableau mou-
vant, qui n'a pas besoin de la scène d'un théâtre
pour se dérouler: On peut en jouir sans quitter
les aises du chez soi.

Dans les heures d'ennui ou de souffrance j'ai
senti une vive reconnaissance pour les auteurs
dont les écrits m'ont procuré une agréable dis-
traction.

Puissé-je au même titre mériter la bienveil-
lance du lecteur .
 

N. Reiss


UNE EXPÉDITION D'ÉMIGRANTS

Une circonstance inattendue m'a obligé de m'embarquer à Anvers pour New-York à bord d'un navire qui avait près de 200 passagers d'entrepont, presque tous émigrants allemands.
Peut-être me saurait-on gré de donner un récit succinct de la vie et des aventures de mer, ainsi que de l'accueil qui est fait en Amérique aux émigrants.
Notre navire appartenait au port de New-York. Le capitaine, le premier lieutenant le charpentier et un mousse étaient des blancs. Le second lieutenant et le reste de l'équipage étaient des noirs ou des mulâtres, légitimement libres ou esclaves fugitifs, quelques uns des îles de Haïti.
La société de la première cabine se composait d'un forestier allemand et de sa dame, hongroise de naissance, cantatrice remarquable, d'un jeune sculpteur belge et du narrateur.
Les habitants de l'entrepont formaient des groupes très divers.
Il y avait quelques familles d'une certaine aisance, des mineurs qui se rendaient aux houillères et aux mines de fer de la Pennsylvanie et de l'Ohio, des bouchers, des brasseurs, des fabricants de gants de peau.
D'autres familles, composées de pauvres cultivateurs , avaient quitté le Wurtemberg au moyen d'un secours du gouvernement.
Mais la grande masse des émigrants était formée de jeunes gens des deux sexes qui se rencontraient là, la plupart, par hasard.
A côté du jeune étudiant et du commis marchand on voyait des ouvriers de différents états, des simples journaliers et des cultivateurs.
Beaucoup de ces jeunes gens étaient des réfugiés politiques, anciens combattants de Bade et de la Bavière rhénane.
Les jeunes filles étaient généralement des servantes, appelées en Amérique par des frères ou des sœurs.
Quelques couples, qui faisaient ménage ensemble, ne s'étaient cependant pas mariées avant de partir, parce que les formalités et la cérémonie nuptiale sont beaucoup moins coûteuses en Amérique. II y avait donc bénéfice à les remettre.
Partis le 8 septembre 1849 d'Anvers, nous étions le lendemain en rade de Flessingue. Un changement de vent vint nous arrêter ici, et notre séjour forcé se prolongea jusqu'au 16 du même mois.
Les difficultés inséparables du voyage ont commencé pour les émigrants.
La distribution des vivres et la cuisine, voilà des graves et sérieuses causes de troubles et de souffrances.
Remarquez qu'il s'agit de nombreuses familles, chargées d'enfants en très-bas âge, n'entendant pas raison sur la satisfaction de leurs pressants besoins, et imaginez des tendres mères fondant en larmes faute de pouvoir soigner ces petits êtres chéris.
Seul à bord je pouvais servir d'interprète entre les officiers, l'équipage et les émigrants. J'étais toujours prêt à rendre ce service, mais comme il était impossible d'accorder à chacun ce qu'il désirait, c'était l'interprétation qui bientôt fut soupçonnée de partialité.
Les bagages, dans la précipitation de l'embarquement, n' étaient malheureusement pas rangés en bon ordre. Trouvez alors, parmi les coffres et les sacs sans nombre, le numéro et la marque de tel ou tel autre passager, réclamant quelque provision de choix et de réserve courant risque de se gâter.
Ce n'est pas tout, la place à la cuisine est très restreinte. Les enfants ont certainement besoin les premiers d'être pourvus, mais trouve-t-on assez d'abnégation chez les personnes jeunes et disposées d'abuser de la force. De là des querelles et des réclamations sans fin.
En mer une nouvelle cause de souffrances résulte des irrégularités ou de l'insuffisance de la distribution d'eau fraîche, parce que sans eau il n'y a pas moyen de faire la cuisine.
Pour se venger des prétendues injustices, quelques individus stupides s'en prennent au navire, font des entailles dans des cordages importants, et mettent ainsi le salut de tous en danger. Une active surveillance est établie, et une allocution sévère est nécessaire, et fait de nouveau murmurer contre l'interprète. En compagnie du forestier et de sa dame nous visitons Flessingue.
Installés dans un confortable hôtel, nous respirons, contents d'être débarrassés un moment du brouhaha du navire. Plusieurs messieurs, réunis au salon, reconnaissent madame pour l'avoir entendu chanter dans des concerts, à la Haye et à Rotterdam.
Après nous être restaurés, et après avoir fait un tour dans cette petite ville, nous montons en omnibus et nous sommes conduits, à travers un pays plat, vers Middelbourg. Sur la route on fait différentes haltes dans des jolis villages, où nous remarquons le pittoresque costume des paysans, et surtout la coiffure en spirales d'or des femmes.
La ville de Middelbourg est considérable, l'aspect de la plupart des rues annonce l'aisance. Mais la tranquillité régnante indique le ralentissement actuel des affaires de ce port.
De retour au navire, nous apprenons la nouvelle d'un accouchement à bord. Pour la pauvre accouchée, le vent contraire qui nous retenait, était donc une circonstance heureuse. Le surlendemain l'enfant fut transporté à Flessingue pour y être baptisé. Comme les parents étaient des luthériens, les prêtres calvinistes, aussi bien que les prêtres catholiques, élevèrent d'abord des grandes difficultés, et le pauvre petit garçon ballotté en religion avant d'être ballotté en mer courait. risque de s'en aller comme il était venu.
Le soir du 15 septembre nous eûmes le spectacle de l'illumination de Flessingue à l'occasion de la fête d'un prince néerlandais.
 Le 16 au matin une brise favorable permit au navire de prendre la mer; le soir nous vîmes Calais. ,_
La mer devint houleuse, par conséquent, la plupart des passagers se trouvaient pris du mal de mer. On vit peu de femmes sur le pont ou dans la cuisine, les hommes étaient obligés de se charger momentanément des soins du ménage.
Dès le 18, une effrayante calamité nous menaça. Les membres de la famille du fabricant de gants étaient tous d'une constitution très faible. Ayant séjourné quelque temps à Anvers où le choléra régnait, ils en avaient emporté la disposition cholérique et le roulis du navire fit éclater chez eux les symptômes du fléau, à côté du mal de mer. Des quatre individus attablés, trois furent rétablis, le quatrième mourut en peu de temps. C'était un garçon sourd et muet âgé de 11 ans. Heureusement le mal ne e étendit pas plus loin.
Le vingt au matin j'étais sur le pont en compagnie du jeune sculpteur. La brise était forte, la mer houleuse et le navire fatiguait considérablement sa mâture.
Tout à coup le grand mat se casse avec fracas, vergues et voiles tombent sur le pont, les poulies volent en tous sens. Saisis de terreur les passagers arrivent en foule sur le pont. Le capitaine se hâte de donner des ordres pour déblayer le pont, et pour réparer le dommage.
Cet accident cependant, à lui seul, n'était pas de nature d'arrêter notre course et de nous faire perdre les avantages d'une bonne brise.
Mais hélas ! la charpente usée du navire, fatiguée par la mer, ne tenait plus ensemble, l'eau pénétrait par les murs latéraux, elle remplissait la cale, elle mouillait les lits des passagers, que ce nouvel inconvénient exaspérait.
Enfin le capitaine déclara qu'il nous fallait chercher un port de refuge.
Afin de comprendre la calamiteuse gravité de cette mesure, il suffit de faire connaître quelques unes de ses conséquences pour les émigrants.
La plupart des pauvres passagers entrevoyaient dans les faux frais d'un séjour forcé et prolongé au port de refuge l'entier épuisement du petit fonds, réservé pour parer aux premiers besoins en Amérique:
Puis l'arrière saison approchait et au lieu d'une courte et agréable traversée, on aurait en perspective un long et pénible voyage. .
Enfin arrivé en Amérique on trouverait les canaux pris de glace, et les prix des chemins de fer augmentés à cause de l'hiver.
Aussi les pauvres gens avaient-ils grande peine de se rendre à l'évidence et de se convaincre que réellement on se dirigeait vers l'Irlande ou vers l'Angleterre.
Cette conviction enfin acquise, les colères éclatèrent avec violence et les reproches ne furent pas épargnés à la conduite des capitaines et des armateurs de mauvais navires.
Les réfugiés Badois et Bavarois formèrent cercle sur le pont autour de leurs orateurs.
On discuta avec chaleur et énergie une foule de mesures et de résolutions, qui ne purent aboutir à rien.
Les contrats du passage furent examinés avec soin et on y relût tous les paragraphes traitant du prix de passage à payer d'avance, de la nécessité d'être embarqué à temps sous peine de perdre son passage, de l'obéissance due aux officiers, etc.; mais on chercha inutilement le moindre paragraphe relatif à des indemnités éventuelles.
Dans la cabine je voyais pour la première fois du trouble dans l'heureux ménage de M. le Forestier. C'étaient les idées économiques de madame, qui avaient empêché le ménage de prendre passage à bord d'un bateau à vapeur. Madame avait compté sur la bonne saison. Le mal étant maintenant irréparable elle répondait avec quelque air d'opéra aux inutiles reproches de son mari. Puis elle disait que c'était actuellement la saison des raisins, qu'elle aimait tant, et elle était sûre d'en trouver en Angleterre, ainsi que de belles étoffes pour robes. Monsieur, à son tour, s'était fait faire à Anvers des bottes de mer, qu'il avait, par oubli, laissées dans son hôtel. II avait donc maintenant l'occasion de les remplacer.
Le 24, nous étions en vue d'Ushant. Le 25, une furieuse tempête assaillit le navire et menaça de le mettre en pièces. Enfin le 27 au soir, par un temps superbe et par un beau clair de lune, nous jetâmes l'ancre dans la rade de Plymouth.

PLYMOUTH

Il existe certainement peu de villes en Europe, qui méritent tant d'attirer l'attention des touristes que la ville de Plymouth, par les merveilleux établissements dont elle est richement dotée, sans parler de l'éminente beauté de son site.
...

SÉJOUR A PLYMOUTH.

La commission d'expertise déclare que le navire ne sera pas condamné, mais qu'il continuera son voyage après que sa charpente aura été renforcée, au moyen d'une sérié de genoux de fer.
Les émigrants sont logés à terre aux frais des armateurs, qui s'engagent également à remplacer les vivres consommés pendant la réparation du bâtiment.
Les passagers de cabine pouvaient garder leurs logements à bord:
Cette circonstance nous fournit presque immédiatement l'occasion d'apprécier notre équipage noir, un peu abandonné à lui-même par les fréquentes absences des officiers du bord.
Ces hommes étaient tous de bons marins, jeunes et de forte constitution. Ils étaient bien traités et très bien nourris. Cependant ils commencèrent à donner beaucoup de tracas et de trouble, par leurs querelles et leurs batailles.
Chose remarquable, les avantages et petits privilèges dont jouissait le deuxième lieutenant, de race mulâtre, étaient la principale cause de ces rancunes. Au lieu de se voir avec plaisir, relevés par la considération que l'on accordait justement à cet officier de leur race, ils en étaient offensés, prétendant que cet homme, étant un noir comme eux, ne devait ni leur commander ni être en aucune façon mieux traité qu'eux.
Il est vrai que le lieutenant était défendu par les plus raisonnables d'entre eux. Des batailles furieuses en résultèrent, dans lesquels les uns saisissant les autres par les épaules tâchèrent par des coups de tète (à la manière des béliers), de leur enfoncer la poitrine. Puis ils se faisaient de cruelles morsures, qui guérissaient difficilement.
Pour dompter ces démons furieux il ne sert de rien de les frapper à la tête, car, au rebours de la méthode des blancs, ils présentent leur tète aux coups afin de protéger leurs bras.
Mais l'endroit sensible est chez eux les jambes; que l'on fasse mine de diriger le bâton vers le tibia, et le plus fort nègre tremble de frayeur. Aussi est-ce là le plan d'attaque adopté en Amérique par les agents de police, en cas d'insoumission des tapageurs noirs.
Ces troubles apaisés autant que possible, notre assistance fut réclamée avec empressement par les jeunes émigrantes, en vue de leur correspondance avec leurs familles. Des simples paysannes savaient exprimer dans leurs lettres de nobles sentiments et adressèrent à leurs pères et mères de touchantes consolations et des chaleureuses protestations de dévouement. C'était bien plus saisissant encore de lire les réponses des pauvres parents abandonnés. Leurs fervents voeux pour le bonheur de leurs enfants, étaient entremêlées d'amères expressions de regret et de douleur dont la lecture déchirait le coeur des pauvres enfants et noyait pendant des heures leurs yeux dans les larmes. Les moins malheureux recevaient avec ces réponses quelques petits secours en argent.
Nous commençons à lier connaissance en ville. Quelques respectables familles nous honorent d'invitations pour des petites fêtes de famille, des soirées dansantes, etc.
On trouve à Plymouth beaucoup de jeunes gens et de jeunes personnes qui ont passés quelques années en France, surtout à St-Malo. Par contre beaucoup de jeunes français de Bordeaux et de Nantes viennent travailler à Plymouth dans les bureaux des correspondants commerciaux de leurs familles.
Comme danseurs les français jouissent d'une faveur marquée auprès des jeunes miss. Et c'est justice, car à voir danser bien des anglais, on est tenté de s'écrier avec Nicole; battez-moi plutôt, et me laissez rire tout mon soûl.
Plusieurs jeunes demoiselles touchèrent du piano et quelques-unes firent preuve d'un beau talent.
Notre cantatrice se fit également applaudir.
Nous fûmes inscrits parmi les visiteurs de la belle salle de lecture de la bourse, puis sur la liste des étrangers admis au superbe Royal yacht Club-House.
Le magnifique établissement de bains de Stonehouse, les grands jardins et les pépinières de cette ville attirèrent notre attention.
Les magasins de Stonehouse offrent aux étrangers, comme souvenirs du Devonshire, de jolis objets, fabriqués avec les divers marbres de couleurs que l'on trouve dans ce pays.
A Devonport nous allions payer notre tribut d'admiration à la belle colonne monumentale, du haut de laquelle nous pouvions jouir de l'un des plus beaux panoramas de l'Angleterre.
Près de là se trouve le Mountwise, plateau élevé, servant aux exercices et aux parades militaires, et entouré des demeures du gouverneur supérieur et du commandant d'armes.
Nos amis nous emmenèrent quelquefois avec eux dans leurs yachts, pour assister, eu plein mer, à des parties de chasse aux mouettes, amusement qui réconciliait avec Plymouth notre forestier.
La position des habitants diffère de beaucoup dans les différentes villes précitées.
Plymouth contient des banquiers, des négociants et des armateurs. Mais l'activité commerciale de ce port n'est pas très considérable. C'est plutôt un port de refuge et une station intermédiaire des bateaux à vapeur de Cork et de Londres.
Les bateaux à vapeur viennent momentanément déposer ici des émigrants Irlandais d'une classe relativement aisée, et des navires à voiles les transportent en Australie.
Beaucoup de jeunes filles sont expédiées ainsi, et on fonde sur elles des grandes espérances, pour l'avenir de ce pays lointain.
Un heureux antécédent de ce genre existe dans le développement de la colonie américaine de la Virginie, qui ne devint florissante et heureuse, qu'après de semblables émigrations de jeunes filles, qui furent littéralement achetées aux capitaines spéculateurs, et s'écoulèrent rapidement. Auparavant les jeunes colons ne songèrent pas à se fixer définitivement dans la colonie.
La ville de Stonehouse est moins commerciale que Plymouth, ses rues tranquilles sont généralement habitées par des familles de rentiers et par des officiers de marine à demi-solde ou en retraite.
Devonport possède un grand nombre de bateaux de pêche, et l'on sait que la mer autour de Plymouth est extrêmement poissonneuse.
La ville de Morce-Town est habitée par les nombreux ouvriers de l'arsenal de la marine et par leurs familles.
Pendant que nous finies valoir autant que possible notre séjour forcé dans ce beau pays, les charpentiers, les forgerons, les calfats travaillèrent avec zèle à rendre le navire apte à reprendre la mer.
Le soir, après le travail, ces ouvriers intelligents, devinrent, à un degré assez remarquable, des gens du monde. Ils aimèrent à nous conduire quelquefois auprès de leurs familles, où nous trouvâmes des femmes et des jeunes filles bien élevées, et de très bonnes manières.
Souvent les membres d'une famille organisèrent, pour nous entretenir, un petit concert instrumental et vocal, composé de morceaux populaires.
Cette musique portait un cachet tout à fait particulier et même étrange. Je dois avouer, que la plupart de ces compositions me semblèrent inférieures à celles de Rossini et de Meyerbeer, cependant quelques unes étaient mélodieuses et furent même redemandées.
Les paroles de ces chants populaires avaient presque toujours pour sujets l'attachement à l'église anglicane, à la reine et à la qualité de sujet britannique.
La première moitié du mois d'octobre était passée ainsi. On commença à faire des préparatifs de départ. Des nouveaux vivres et du combustible furent embarqués et nos émigrants rentrèrent au navire.
Ces passagers avaient été très bien traités par les classes populaires avec lesquels ils avaient été en relation.
Les jeunes réfugiés se vantaient de leur succès auprès du beau sexe. Les jeunes filles allemandes avaient appris un peu l'anglais.
Tous avaient en outre profité du bon marché phénoménal des fruits et des excellents poissons de mer, dont la vente était accidentellement difficile à cause de l'imminence du choléra.
Enfin le 19 octobre au matin nous fîmes nos adieux à Plymouth et, le coeur gros, nous nous dirigeâmes de nouveau vers l'Ouest lointain.

LA TRAVERSÉE.

Le temps et la brise nous favorisent d'abord et nous eûmes bientôt derrière nous le célèbre phare de l'Eddystone, bâti sur un rocher isolé au milieu de la mer.
A l'époque de la construction de ce phare, Louis XIV était en guerre avec l'Angleterre. Un corsaire français s'avisa d'amener prisonniers en France, les architectes et les ouvriers, mais le roi fit punir sévèrement le corsaire, combla de présents les ouvriers anglais, qu'il renvoya, en disant, qu'il, n'était pas en guerre avec l'humanité.
A notre bord la bonne entente était de fort courte durée. L'imprévoyance et, peut-être, le peu de bonne volonté du capitaine de prendre à coeur les intérêts des passagers d'entrepont y était pour beaucoup.
Comme le soleil commençait à se coucher de très bonne heure, les émigrants réclamèrent l'éclairage de l'entrepont, auquel ils avaient droit. Mais l'heure et la durée de l'éclairage n'étaient pas exprimées dans les contrats, de là des chicanes. Voilà donc 200 personnes, des femmes et des petits enfants tenus dans l'obscurité, qui les empêchait de rien faire.
Aussi de temps en temps s'élevait-il de l'entrepont avec l'accent de la fureur, les cris de lumière ! proférés à l'unisson par 200 voix et faisant trembler le pont.
Le 5 novembre, les officiers du bord remarquèrent sur le pont du navire un individu qu'ils croyaient voir pour la première fois. Le passager interpellé assura être venu avec nous d'Anvers. En effet il avait raison, seulement il s'était embarqué secrètement et s'était toujours tenu à l'ombre. .
Les lois américaines punissent sévèrement les capitaines pour introduction d'émigrants non déclarés sur la liste d'embarquement.
Notre nouvelle connaissance fut donc ajouté en post-scriptum sur la liste, et obligé d'assister les matelots en guise de payement de passage.
Cette découverte, entièrement accidentelle, donna lieu, pendant quelques jours, à des violentes querelles parmi les allemands, qui voulaient absolument l'attribuer à une traîtreuse dénonciation.
Le 8 novembre nous vîmes les Iles Açores. Ce, fut une grande joie pour les émigrants, car l'un d'entre eux était muni d'une lettre, dans laquelle un ami lui disait être arrivé à New-York dix jours après avoir vu les Açores. La différence de la marche des navires, la variabilité des vents etc., tout ces éléments n'entrèrent guère dans le calcul de ces gens irréfléchis, ils étaient persuadés que le capitaine devait les conduire en dix jours des Açores à New-York.
L'espoir de nos passagers fut cruellement déçu, car nous avions encore quarante deux jours de mer devant nous.
Les souffrances des émigrants devinrent réellement inouïes.
D'abord le navire, malgré sa réparation, était en très mauvais état. Les literies de l'entrepont étaient constamment mouillées. Les vivres commencèrent à se gâter et à devenir rares. Le combustible même pour entretenir le feu de la cuisine était épuisé et en désespoir de pause on démolissait des cloisons et des meubles, afin de se procurer du bois à brûler.
Mais la chose la plus désespérante était le fléau de la vermine, qui s'était emparé de l'entrepont.
Parmi les passagères se trouvait la femme d'un ouvrier français, accompagnée de trois enfants. Cette femme ayant d'abord consenti, à cause de son état de grossesse, à rester en arrière, s'était subitement décidé à rejoindre son mari embarqué à Anvers pour l'Amérique. Elle arrive à Anvers, mais son mari était parti la veille. Elle prit donc passage avec ses enfants à notre bord.
Après notre départ de Plymouth, cette femme fut bientôt incapable, à cause du mal de mer et à cause de sa grossesse avancée, de rien faire, ni pour elle ni pour ses enfants.
Ses voisins allemands ne comprenant pas son langage et étant assez occupés d'eux-mêmes, venaient, il est vrai, quelque peu à son secours. Mais bientôt on remarqua le dévouement et le travail incessant de l'aînée des enfants, petite fille de onze ans.
Aussi à la distribution des vivres et de l'eau, ainsi qu'à la cuisine, quand tout fut empressement, désordre et discordance, les rangs s'ouvraient spontanément à l'approche de cette faible petite créature. On lui donna volontiers plus que sa part, on l'assista et cette bienveillance générale envers elle ne se démentit jamais jusqu'à la fin du voyage.
Le 13 décembre, notre capitaine héla un navire américain et lui acheta des provisions et du combustible, aussi bien pour la cabine que pour l'entrepont. .
Enfin le 18 décembre on vit terre du haut des mâts.
Le lendemain de grand matin, le pilote vint à bord. Les passagers étaient tous sur le pont. Tous les regards étaient dirigés vers les hauteurs que fou vit poindre à l'horizon. Mais la brisb était faible, nous avançâmes lentement. Dans l'après-dînée des bateaux à vapeur-remorqueurs voltigèrent d'une manière agaçante autour de nous, enfin après de longs débats, l'un d'eux s'attela au navire. Un hourra vigoureux, trois foisrépétépar tousnos émigrants, salua cet heureux événement, et le soleil était à peine couché, que nous pénétrâmes au milieu de la flotte marchande, qui en rangs serrés, longe les quais de New-York.

La Baie de New-York,

La nature et. l'art se sont réunies pour faire de la baie de New-York l'un des plus magnifiques panoramas que le voyageur puisse rencontrer.
De la haute mer l'on n'arrive pas directement en face de la ville. On longe d'abord l'île considérable de Long-Island, située à droite, et l'on a devant soi l'île de Staten-Island.
Ces deux îles très élevées, sont couvertes de phares, de marques (obélisques) pour les navigateurs, de fortifications, de villas, de maisons de santé, d'établissements de bains de mer, la plupart en style grandiose et remarquable.
La mer elle même ne fatigue plus les yeux par sa désolante solitude, car d'innombrables voiles se montrent de tous côtés. Des bateaux à vapeur-remorqueurs, d'un modèle tout nouveau pour l'Européen, et peints en couleurs très voyantes, croisent à l'aventure. Leurs machines placées au-dessus du pont, élèvent et abaissent alternativement les deux pistons, attachés à un triangle de fer, comme les longs bras d'un géant.
Entré dans la passe qui sépare Long-Island, de Straten-Island, le navigateur remarque en face le phare et les singuliers blocs de granit; d'une pointe du continent appelée Sandyhook.
Le navire gouverne vers la droite et tourne Long-Island.
Le voilà dans la baie de New-York. La ville se présente par la pointe extrême de file rocheuse de Manhattan sur laquelle elle est située. A droite et à gauche l'on voit les embouchures de deux larges rivières, portant des forêts de mats. Sur les rives opposées à New-York, on remarque à l'Est les grandes et magnifiques villes de Brooklyn et de