Malli 1855
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Lettre parue au Moniteur Belge, le 25 avril 1856

Émigrants belges aux Etats-Unis.

 Nous recevons communication d'une lettre adressée par un missionnaire, M. J.-C. Perrodin, à M. le curé de Gottechain (Brabant), sur la situation des émigrants belges aux Etats-Unis. Nous croyons que cette lettre sera lue avec intérêt quoiqu'elle remonte déjà à une date assez éloignée.

 Green- Bay, le 5 juillet 1855.

 M.. Charles Vanerum, à Gottechain.

 Monsieur,

 Un de vos anciens paroissiens (je crois Désiré Dequenne) m'a fait voir une lettre que vous avez eu la bonté de lui écrire, dans laquelle vous demandez que le missionnaire de la Baie vous donne quelques renseignements sur les émigrants belges qui sont venus s'établir de ce pays. C'est avec le plus grand plaisir que je vais essayer de satisfaire à votre curiosité et à votre charité. Vous savez déjà qu'un grand nombre de ceux qui sont venus les premiers sont morts du choléra et d'autres maladies. C'est principalement la fatigue du voyage et le changement de régime, ainsi que l'inquiétude car ils manquaient de guides et de conseillers, qui ont causé une aussi grande mortalité parmi eux. Le climat du Wisconsin est aussi sain que celui de la France et de la Belgique. Ceux qui viennent d'arriver vont profiter de l'expérience que leurs devanciers ont déjà pu acquérir, et il leur sera plus facile de se procurer des terres à acheter et de maintenir leur santé, parce qu'ils serons aidés et conseillés par leurs compatriotes. Toutefois, je dois vous dire qu'il ne faut pas trop se fier aux belles-lettres qui s'écrivent de ce pays; Parmi les derniers venus, il y en a plusieurs, d'après les renseignements que j'ai pu prendre, qui .voudraient n'avoir jamais quitté leur pays natal.

 Sans doute, un émigrant qui a quelque argent a plus de chance aux Etats-Unis qu'en Europe, car les terres se vendent ici, au Nord, environ. 10 francs l'hectare ; mais il ne faut pas s'imaginer qu'on puisse trouver des fermes en état de culture, ni près des villes ou même près d'une bourgade, pour un prix aussi minime. Il faut aller à une grande distance de tous voisins, au milieu de grands bois, où il n'y a ni église ni école, pour jouir du privilège des terres à bon marché. Il faut ouvrir des routes, abattre du bois, le brûler, et défricher avant de rien récolter. II faut, en attendant qu'on récolte sur un terrain vierge, qu'on achète des provisions qui certes coûtent presque autant ici qu'en Belgique. II faut acheter des animaux, des outils, du linge ; et combien bien d'émigrants souffrent infiniment plus ici dans les commencements que s'ils étaient restés chez eux.

 Combien y en a-t-il qui s'imaginent qu'il suffit de passer la mer pour être riche ! C'est, là, M. le curé, une grande erreur, que vous pouvez aisément détruire en leur faisant connaître l'espèce de terrain qu'on peut se procurer à dix francs l'hectare. Il est vrai que les premiers venus ont fait quelque argent en convertissant en bardeaux les pins qui se trouvaient sur leurs terres ; mais c'est un avantage sur lequel il ne faut pas trop compter, parce que plus il faut s'éloigner des villes, moins on reçoit pour le bardeau, les routes étant toujours dans un état pitoyable dans ces nouveaux pays, et le prix du bardeau étant rarement de 16 à 18 francs (trois dollars à trois dollars et demi), comme il l'a été l'hiver dernier.

 J'ait vécu dix ans au sud du Mississipi, dans l'Etat de l'Iowa et j'ai connu dans cet État beaucoup d'émigrants belges dans le comté de Dubuque et de Jackson. J'ai fait bâtir pour eux et pour des Irlandais une église en briques. Ceux qui sont dans cette partie de l'Amérique ont d'autres misères, dont il est inutile de vous parler, parce que vous désirez sans doute, avant tout, connaître la position de vos anciens paroissiens; mais je dois dire qu'il y 'a partout des désavantages à côté des avantages; nul n'est content de son sort et ne peut l'être, ni en Belgique, ni en Amérique, parce que le nouveau monde n'est pas le paradis non plus que l'ancien; celui qui travaille en France ou en Belgique autant qu'ici peut sans doute y vivre, et celui qui n'aime pas le travail se trompe beaucoup s'il pense qu'on trouve ici des fortunes toutes faites. Le prix du travail est un peu plus élevé qu'en Europe, en sorte que celui qui est très économe peut mettre un peu plus de côté ; mais, d'autre part, tout ce qu'il faut acheter coûte davantage; par exemple je paye ma servante deux cent soixante et quinze francs par an; mais elle a des dépenses à faire qu'on ne fait pas en. Belgique.

 Par-rapport au spirituel,, c'est là malheureusement qu'if y a infiniment à perdre pour un émigrant catholique ; ceux qui ont la foi, une foi ferme, s'efforcent d'acheter des terres près d'une église; mais, hélas! combien y en a-t-il qui, par pauvreté et souvent par indifférence, vont loin des églises ! Ils finissent par négliger leurs exercices de piété et vivent en infidèles. Les enfants ne sont pas instruits et croissent comme des animaux sans connaître Dieu.

 Quant à vos anciens paroissiens, ils ne sont pas loin d'une église canadienne et d'une église allemande, ce qui est un grand  bonheur pour eux. J'ai été dernièrement célébrer la sainte messe dans la maison de Philippe -Hannon, de Grez, et j'ai donné la communion pascale à soixante-cinq personnes. C'était un grand bonheur pour moi de voir leur zèle et leur piété autour de l'autel qu'ils venaient d'élever dans la forêt qu'ils défrichent. J'ai fait faire par M. Ch. Corbesy une liste de tous les membres de notre Eglise qui étaient dans les environs et je l'ai envoyée à Mgr Henri, l'évêque de Milwaukee et notre évêque, en le suppliant de permettre aux Belges de bâtir une église catholique et d'avoir un cimetière pour leur colonie ; je n'ai pas, encore reçu sa réponse. Ici le gouvernement n'a rien à faire et rien à dire en fait de religion. On ne reçoit gouvernement, tout doit se faire par souscriptions individuelles, mais au moins on est vraiment libre sous ce rapport, l'évêque est souverain en matières spirituelles, et malgré les préjuges et l'intolérance d'un grand nombre de citoyens de l'union, le gouvernement ne met pas d'entraves à nos travaux.

 J'espère donc que les Belges auront une église, un cimetière et une école catholiques; mais, hélas ! qui les desservira? Je suis seul prêtre dans trois comtés et cependant j'ai plus de deux mille catholiques disséminés dans ce vaste pays. N'y aurait-il point de prêtres en Belgique assez zélés pour accompagner leurs ouailles? Quelques Belges m'avaient prié d'écrire au révérend M . . . . .  à . . . ., d'autres m'assuraient que le révérend . . . . . avait exprimé le désir de venir dans nos missions.

 J'espère, M. le curé, que vous leur ferez part de cette lettre, et je puis leur dire que s'ils se sentent la vocation de missionnaires, ils trouveront ici un vaste champ à parcourir.

 Qu'ils en écrivent à M. Henri de Milwaukee, notre digne évêque, qui, sans doute, les recevra à bras ouverts, et qu'ils ne craignent pas de mourir de faim. Nos bons catholiques nous aiment et partageraient avec nous leur dernier morceau de pain.

 Je finis en vous priant de vous souvenir de vos bons paroissiens et de nos catholiques en général au memento de la messe.

 J'ai l'honneur d'être, M. le curé, votre humble et dévoué serviteur.

 (Signé) John C. Perrodin.

Sources

Wisconsin
Iowa