Dochez 1863-64
Main page Emigrants arrival Belgians in America

links

Belgian coal miners in Illinois and Pennsylvania
 

Sources

Avis aux ouvriers mineurs de charbon
vers l'Illinois en 1863

Mai 1864
Dochez justifie l'échec de l'envoi de borains vers l'Illinois, un nouveau contrat a été passé avec les mines de Pennsylvanie à Brady's Bend, Armstrong County. Des mineurs sont envoyés par le Johannes Marie

De nombreux mineurs rentrent en Belgique aussi bien d'Illinois que de Pennsylvanie : l'entreprise est un échec.

Juillet 1864
Dochez se recycle en envoyant des volontaires au Massachusetts pour les armées du Nord

Going back in America, Louis Dochez settled in San Francisco. His children (born in California):
Clementine, born about 1865
Louis, born about 1867
Alfred, born about 1873
Charles, born about 1878
Alphonse, ?

 

 

L'Economiste Belge du  4 juin 1864. p. 126

L'émigration belge en Amérique. 

Nous recevons de M. Louis Dochez une lettre, concernant l'émigration des travailleurs belges aux Etats-Unis d'Amérique , que nous publions ci-dessous.

Nous sommes heureux d'apprendre que cet agent d'émigration ne s'est pas laissé décourager par l'issue fâcheuse de ses premières tentatives et que, profitant des leçons de l'expérience, les nouveaux essais ont réussi de manière à lui faire espérer qu'avec l'aide du gouvernement des Etats-Unis, cette émigration pourra désormais s'effectuer d'une manière facile et régulière, chaque fois que l'excès de l'offre du travail en certains points de la Belgique y engendrera les calamités qu'il traîne toujours à sa suite.

Plusieurs fois déjà, nous avons exprimé dans ce recueil, la conviction, qui est aussi celle de M. Dochez, que l'émigration en Amérique peut améliorer, d'une manière, très sensible la condition d'un grand nombre d'ouvriers qui n'ont ici qu'un sort misérable et précaire, Nous croyons aussi, l'Angleterre et la Suisse nous en offrent de nombreux et concluants exemples, à l'heureuse influence que l'émigration exerce sur les débouchés commerciaux de la mère patrie. Seulement, en ce qui concerne les Etats-Unis, nous sommes obligés de faire cette réserve, que nos relations commerciales avec ce pays demeureront paralysées aussi longtemps qu'y dureront les funestes conséquences de la guerre ; le tarif douanier ultra-protecteur et le papier-monnaie.

Nos lecteurs s'étonnent peut-être que nous, qui en toute occasion faisons une guerre à outrance à l'intervention gouvernementale, nous admettons, sans peine, les passages de la lettre de M. Dochez où cette intervention est invoquée en faveur de l'émigration étrangère. C'est que, pour nous, cette intervention est la conséquence en quelque sorte nécessaire de la situation exceptionnelle ou se trouve le gouvernement des Etats-Unis, dont les principales ressources financières proviennent des droits de douane et de la vente des domaines nationaux. Or ces deux ressources étant considérablement diminuées par la guerre, le gouvernement ne peut mieux faire, pour accroître la seconde, que de favoriser l'émigration, qui augmentera le nombre des acquéreurs de la terre et de ses produits.

C. D. B. 

Voici la lettre de M. Dochez : 

Charleroi, le 14 mai 1964.

A Monsieur Le Hardy de Beaulieu, professeur à Mons.

Monsieur,

Depuis la publication de votre dernière lettre concernant l'émigration belge vers les Etats-Unis d'Amérique, j'ai eu la satisfaction de recevoir des nouvelles qui n'ont pas peu contribué à améliorer les chances de réussite de cette émigration. Avant de vous donner les détails concernant ces nouvelles, permettez-moi de jeter un regard rétrospectif sur la situation en vous entretenant des causes qui provoquèrent ma mission, et comment je compte mener à bonne fin mon entreprise si chanceuse et si difficile.

Il est toujours dangereux, pour le jugement que peuvent porter les autres, de paraître vouloir se flatter soi-même en parlant de soi, cependant comme je place la vérité au dessus de ce jugement, je devrai en commençant pour vous initier à ma pensée, parler de moi et vous dire que le motif qui m'a poussé à accepter ma mission a été un motif de sympathie pour le prochain et de commisération pour les souffrances de mes compatriotes pauvres. Je laisse à tous le droit de juger ce motif comme ils l'entendront, toujours est-il qu'il fut mon véritable mobile et que dans mes travaux d'émigration présents et futurs il sera mon unique but.

Les causes qui amenèrent mon départ des Etats-Unis pour me poser en pionnier de l'émigration belge sont toutes simples. J'étais employé dans la compagnie du chemin de fer de l'Illinois central, qui dans un temps encore peu éloigné obtint du gouvernement américain les immenses terrains dont une partie reste à vendre; ayant affaire par la position que j'occupais à la majorité et à la meilleure partie des émigrants européens, il était tout naturel que je fusse appelé a mettre mon expérience à l'épreuve lorsque le moment serait opportun. Il n'est peut-être pas inutile non plus d'ajouter ici un fait tout entier de hasard qui contribua probablement à donner à mes représentations en laveur de l'émigration belge une valeur dont ma personnalité isolée ne pouvait s'attribuer le mérite. Ce fait est que la compagnie do l'Illinois central comptait parmi ses administrateurs des hommes eminents, tels que Abraham Lincoln, aujourd'hui président des Etats-Unis, qui fut un de ses avocats réguliers;

Richard Yates, gouverneur de l'Illinois, qui est un de ses directeurs:
Le général G -B. Mac-Clellan, son vice-président;
Le général E. Burnside, son trésorier;
Le général et ancien gouverneur du Massachusetts, N.-P. Banks, son directeur-gérant et son président actuel W.-H. Osborn, qui par son tact distingué et son bon jugement des affaires sut s'entourer du personnel que je viens de citer.

Tous ces hommes je les connaissais et leur mérite, en rejaillissant sur la compagnie et par conséquent sur moi qui en faisais partie, a contribué, je n'en doute pas, au bon accueil que firent les sociétés américaines à leur séance de Saint-Louis, à mes propositions de services.

La Belgique est en général peu connue aux Etats-Unis, et si je puis m'exprimer ainsi, sa valeur ouvrière pour beaucoup d'Américains est un problème, dont avec patience et courage je parviendrai, je crois, à donner la solution d'une manière aussi avantageuse pour l'Amérique, que pour notre pays.

Je ne veux pas ici entrer dans les détails qui serviraient à prouver que l'émigration dans de bonnes conditions est un bienfait non seulement pour l'émigrant., mais aussi pour le commerce belge, parce que ce serait poser un fait à discussion, que ma mission ne comporte que pour autant que cc serait nécessaire. Je dois cependant pour vous dire toute la vérité, avouer que si j'ai saisi l'occasion qui m'était offerte d’envoyer des ouvriers mineurs de Belgique, ce n'a été que parce que c'était la seule qui se présentait, et que je complais faire valoir mes services de manière à attirer plus tard l'attention des exploitants américains sur d’autres branches de notre industrie plus souffrantes, et par conséquent plus dignes de sollicitude.

Vous avez, dans vos lettres de l'Economiste sur l'émigration du Borinage, à peu près tout dit ce qu'il y avait à dire sur cette émigration ; aussi si je me permets de les citer, n'est-ce que pour en relever certaines erreurs acquises à une expérience que j'ai fait valoir aux yeux des sociétés américaines, pour obtenir des contrats plus sûrs pour elles et plus réalisables pour l'ouvrier belge Je suis encore loin cependant de pouvoir entièrement sauvegarder les intérêts de l'entrepreneur américain et de l'émigrant; quoique j'aie fait un grand pas et que le gouvernement général des Etats-Unis soit sur le point de prendre des mesures efficaces, qui, j'espère, seront tout à fait favorables à l'émigration belge.

Dans les contrats que je faisais l'an dernier avec les ouvriers du Hainaut, qui, au point de vue belge semblaient magnifiques, il y avait plusieurs conditions que j'avais dû subir malgré moi, mais qu'avant mon départ des Etats-Unis je n'avais pas approuvées.

Ces conditions regardaient la déduction des frais de déplacement de l'ouvrier sur le salaire en général. Ce salaire leur était présenté en Belgique sous un jour entièrement favorable, parce qu'il formait une somme beaucoup plus grande que leurs salaires belges. On avait l'air de leur donner leurs frais de déplacement, quant au fait on en faisait la déduction préalable leur laissant voir le salaire réduit.

Ceci, quoique très juste dans le fond, plaçait l'ouvrier, à son arrivée aux mines, dans une position inférieure vis-à-vis des ouvriers américains qui semblaient gagner davantage et fut la cause du conflit dont vous avez parlé dans 1'Economisle. Peur ne pas entrer dans de trop longues explications à ce sujet, le vous dirai que le contrat que je fais maintenant est exactement le même quant au fond, mais qu'il place l'ouvrier belge dans une position immédiatement normale, qui ne l'oblige plus à faire des calculs, ni à se croire par les résultats apparents de ces calculs l'inférieur de l'ouvrier américain.

Aujourd'hui les sociétés des États-Unis offrent aux bons ouvriers le maximum du salaire américain. Le contrat ne lie que pendant un an, avec option de renouveler l'engagement, si l'ouvrier le juge convenable. On lui fait une déduction mensuelle pour rembourser ses frais de voyage, sans entrer en compte avec lui pour les maladies, la mort ou le chômage; en un mot, il est libre et sur le même pied que l'ouvrier américain, n'ayant qu'à rembourser une dette minime pour ses frais de route.

- Par l'ancien contrat, les sociétés américaines prenaient en main les intérêts de l'ouvrier, tandis que par le contrat d'aujourd'hui ces intérêts sont entièrement entre les mains de l'ouvrier lui-même. Avant mon départ, j'étais pour ce dernier genre de contrat, parce qu'il me faisait prévoir le succès, et si j'ai dû respecter l'autre, ce n'a, été que par ordre et parce que les meilleurs raisonnements peuvent s'établir en sa faveur. ,

C'est principalement par le changement qu'a subi le contrat que je compte sur le bon résultat qu'aura désormais l'émigration belge. Je fonde aussi un certain espoir sur la coopération du gouvernement des Etats-Unis en ce qui concerne cette émigration, et comme je suis peut-être trop isolé et trop peu en pouvoir pour faire valoir les services que pourraient rendre les émigrants belges aux États-Unis, j'ai confiance dans l'influence de l'honorable M. Sanford et des grandes sociétés américaines que je représente, pour obtenir l'application d'une partie des subsides du gouvernement à l'émigration utile, dont l'émigration belge fait partie.

Dans une lettre à l'honorable M. Seward, secrétaire d'Etat, j'ai insisté pour que cette application eut lieu, et tout en lui dénonçant le monopole exercé en faveur de certains pays et de certains agents, j'ai exposé le mieux qu'il m'a été possible les droits de nos émigrants à la faveur du gouvernement américain. Ces droits, je les ai fait valoir aussi dans toutes mes lettres aux compagnies, et je sais pertinemment aujourd'hui, que mes efforts auprès d'elles n'ont pas été vains comme vous pourrez vous en convaincre par les mesures qui vont être prises à Washington et qui rentrent entièrement dans mon système.

Je sais que certains esprits en Belgique s'opposent à l'émigration. A ceux, là je saurais prouver qu'ils font de l'opposition au développement du commerce. L'Angleterre est là pour prouver ce que j'avance, et si aujourd'hui son commerce est immense, elle le doit bien plus au séjour de la masse de ses nationaux à l'étranger qu'au pouvoir commercial qu'elle peut exercer de chez elle.

Dans le but difficile que je me suis proposé, qui est celui de faciliter l'émigration pour améliorer le sort des ouvriers, il me reste, malgré le changement avantageux des contrats, encore bien des progrès à faire. Pour ces progrès, je compte autant sur l'assistance du gouvernement des Etats-Unis, qui semble tout disposé, en faveur de mon système, que sur vos conseils que je sais être au dessus de toutes ces idées protectionnistes qui ont si longtemps prévalu en Belgique. Quant aux bonnes nouvelles dont je vous

parlais au commencement de ma lettre, elles ont rapport à la dernière expédition d'ouvriers que j'ai faite en Pennsylvanie.

Ces ouvriers que j'avais engagés avec mon nouveau contrat ont été on ne peut plus satisfaits et la Société de Brady's Bend pour laquelle ils sont allés travailler, me fait des compliments très flatteurs sur leurs travaux et leurs capacités. Ils ont par leur bon exemple et leur travail, établi la supériorité de l'ouvrier belge compromise par les Borains, et il ne me reste qu'à faire valoir cette supériorité partout aux Etats-Unis, ce à quoi j'arriverai si les moyens me permettent de continuer à travailler.

Agréez, je vous prie, la considération distinguée de votre très humble serviteur,

Louis A. Dochez,

Agent pour les Sociétés minières américaines.

 

L'Economiste Belge du 4 juin 1864. p. 136/137 

Faut-il prohiber la sortie des ouvriers?

En dépit de la propagande libre-échangiste, le protectionnisme gît encore hélas ! au fond d'une foule d'intelligences, et, chose curieuse, sans même qu'elles paraissent s'en douter. Que voulez-vous? Les idées protectionnistes ont constitué « la manière de penser » de vingt générations; et de même qu'il ne suffit pas toujours, pour guérir une maladie héréditaire, de traiter une seule génération, de même qu'il faut soumettre à une hygiène spéciale non seulement les pères, mais encore les enfants et les petits enfants, avant de venir à bout d'un virus qui a passé dans la chair et dans le sang, il nous faudra, nous en avons peur, continuer, pendant la durée de plusieurs générations, le traitement libre-échangiste avant d'avoir extirpé des esprits la lèpre ou l'éléphantiasis protectionniste. C'est ainsi qu'il semble, au premier abord, que nous en ayons fini avec la prohibition à la sortie. Ce genre de prohibition a presque disparu , en effet , de notre tarif, et à part les os et les chiffons, tous les produits de notre sol et de notre industrie peuvent franchir librement notre frontière. Mais l'idée de la prohibition est-elle sortie des esprits? Qu'une disette survienne, et le cri public ne réclamera-t-il pas la défense d'exportation des grains? N'entendons-nous pas tous les jours d'honnêtes consommateurs se plaindre avec amertume de ce que les Anglais nous « dépouillent » de notre beurre, de nos oeufs, de nos fruits, et même de nos lapins? Enfin, nos manufacturiers, à part un bien petit nombre d'exceptions, ne redoutent-ils point par dessus tout la sortie du travail, et n'invoquent-ils pas, au besoin, les dispositions les plus barbares et les plus surannées de notre Code pour l'entraver ?

Dans ce moment, par exemple, le mouvement d'émigration qui a si largement contribué à améliorer le sort des classes ouvrières de l'Angleterre, en débarrassant le marché de travail de son trop plein, et qui a repris avec plus d'intensité que jamais, ce mouvement commence à gagner la Belgique. Plusieurs centaines de mineurs ont émigré du Borinage pour se rendre dans l'Illinois , où ils ont trouvé un travail assuré et des salaires triples on quadruples de ceux qu'ils obtenaient à grand'peine de « l'Union des Charbonnages. » Ce bon exemple, que nous avons été les premiers à signaler (voir les articles de notre collaborateur, M. Ch. Lehardy de Beaulieu, sur l'émigration des Borains en Amérique), a porté ses fruits, et un bon nombre d'ouvriers de diverses industries se proposent, nous assure-t-on, d'imiter leurs confrères borains. De là, un grand émoi parmi les entrepreneurs d'industrie que ce drainage du marché de travail menace d'un renchérissement des salaires, et ce cri d'alarme que pousse la Feuille du Dimanche, de Verviers :

« On signale depuis quelque temps, dans notre province, de nombreux faits d'embauchage d'ouvriers pour l'Amérique du Nord. C'est surtout contre nos établissements métallurgiques, nos forges, nos usines à fer et à zinc que sont dirigées ces coupables menées. De nombreux et habiles émissaires circonviennent les ouvriers de ces établissements, et, à l'aide d'offres de salaires excessifs et des plus brillantes promesses, les déterminent à abandonner imprudemment et pour toujours leurs foyers, leurs familles et leur pays.

Ces pratiques d'embauchage, que réprouvent nos lois et qui exposent leurs auteurs aux pénalités les plus sévères, ne sont pas moins préjudiciables aux ouvriers qu'à leurs patrons. Car le plus souvent l'artisan qui se laisse séduire par les belles paroles des embaucheurs voit, à son arrivée en Amérique, s'évanouir toutes leurs brillantes promesses, et trouve, sur ce sol lointain, les mécomptes les plus cruels et les plus inattendus. Ainsi, il est aujourd'hui certain que ces embauchages d'ouvriers européens ne servent fréquemment qu'à masquer des enrôlements militaires forcés; et tel ouvrier, parti d'Europe dans l'espoir d'exercer paisiblement son métier dans ces contrées lointaines, s'est vu, en débarquant en Amérique, enrôlé dans la milice fédérale, contraint d'endosser l'uniforme, de manier le fusil, et de risquer sa vie dans cette guerre sanglante qui désole depuis trois ans le Nouveau Monde,

Et à ce sujet nous citerons ce que disait le Moniteur officiel français, dans son numéro du 21 avril dernier. Après avoir exposé les difficultés que, par suite de l'épuisement d'hommes, le gouvernement fédéral rencontre à remplir les cadres de l'armée, même au prix de primes considérables offertes aux enrôlés, le journal officiel ajoute :

« Aussi les recruteurs sont-ils partout en campagne. Ils ont des agents jusqu'en Europe qui engagent des ouvriers pour des usines et des manufactures, lesquels une fois arrivés à New-York PEUVENT SE TROUVER ENRÉGIMENTÉS COMME SOLDATS. - Ces abus, qui se sont produits en grand nombre, notamment à bord des bâtiments de commerce étrangers, ont donné lieu de la part des consuls, à des plaintes fréquentes. » Avis donc à nos ouvriers.

Selon la vieille habitude de nos bons amis les protectionnistes, la Feuille du Dimanche invoque avant tout l'intérêt des ouvriers eux mêmes pour empêcher la sortie du travail. Si elle appelle les rigueurs des lois sur les « embaucheurs » qui se permettent d'offrir aux émigrants des « salaires excessifs, » c'est pour « protéger » nos ouvriers contre les embûches de ces séducteurs perfides, c'est pour les empêcher d'être victimes des « mécomptes les plus cruels et les plus inattendus, » c'est en particulier pour les préserver des « enrôlements militaires forcés » qui les attendent au delà de l'Océan.

Nous croyons devoir rassurer la Feuille du Dimanche ait sujet du danger qu'elle signale avec une si vive effusion de philanthropie. C'est en restant en Belgique, et non pas en allant porter leur travail dans le Nouveau Monde que nos ouvriers courent le risque d'être victimes de la conscription. Ce vestige barbare du vieux régime du servage n'existe ni au Canada, ni en Australie, ni à la Nouvelle-Zélande, ni dans la plupart des autres foyers d'immigration. Les États-Unis, à la vérité, y ont eu recours pour se procurer la chair à canon nécessaire au rétablissement de l'unité nationale, mais les citoyens américains seuls y sont assujettis. Nos ouvriers ne courent donc aucun risque d'être enrôlés malgré eux en Amérique; c'est en Belgique seulement qu'ils sont assujettis à ce risque-là.

Ensuite, nous ferons remarquer à la Feuille du Dimanche que les

« embaucheurs » ne méritent, en aucune façon, le mépris avec lequel elle affecte de les traiter. II y a à Verviers des commissionnaires-marchands qui ont pour spécialité « d'embaucher » les draps et les autres étoffes de laine pour les placer dans le monde entier. Ces embaucheurs qui ont accru d'une manière notable les débouchés des industriels verviétois, jouissent certainement de toute l'estime de la Feuille du Dimanche. Eh bien! les embaucheurs d'ouvriers qu'elle flétrit, sont ils autre chose que les commissaires-marchands du travail? Ne rendent-ils pas aux ouvriers exactement la même espèce de services que les commissaires-marchands rendent aux fabricants de draps et d'étoffes? Quel est, en effet, le rôle de l'embaucheur? Il va dans les endroits où le travail est abondant, où, par conséquent, l'ouvrier ne reçoit qu'un salaire insuffisant en échange d'un labeur excessif, et il lui donne les moyens de porter sa marchandise-travail dans les endroits où elle est rare et où, par conséquent, elle est mieux payée. Grâce à ce bienfaisant intermédiaire, les salaires se relèvent dans les endroits où ils étaient déprimés a l'excès, ils s'abaissent, au contraire, dans ceux où ils avaient atteint un niveau excessif, et le travail, allant où il est le plus demandé; partant le plus productif, se distribue de la manière la plus conforme à l'utilité générale. Nous ne saurions mieux encore comparer l'embaucheur qu'au marchand de grains, que les préjugés populaires flétrissaient naguère du nom d'accapareur, et qui est l'agent indispensable de la distribution utile des substances, comme l'embaucheur est et deviendra de plus en plus, n'en déplaise à la Feuille du Dimanche, l'agent indispensable de la distribution utile du travail. Nous ne serions pas fâchés, toutefois, que les dénonciations de la Feuille du Dimanche produisissent leur effet, et que l'on mît sous les verrous, en vertu de l'art. 417 du Code pénal, quelques-uns de ces modestes et bienfaisants commissionnaires-marchands de l'ouvrier. Cette application d'une loi empruntée au vieil arsenal de la servitude, aurait certainement pour résultats d'appeler l'attention publique sur le régime inégal auquel sont encore soumises nos classes ouvrières, et de provoquer une agitation qui emporterait, avec les lois qui prohibent l'embauchage, celles qui prohibent les coalitions dans votre « libre Belgique, » alors qu'en France même l'embauchage et les coalitions sont devenus libres.

L'Economiste Belge du 18 juin 1864. p. 150

Faut-il prohiber la sortie des ouvriers.? 

Nous croyons utile d'ajouter quelques mots à l'article publié sous ce titre dans le dernier numéro de 1'Économiste belge, en réponse, à la Feuille du Dimanche, de Verviers. D'abord, il nous semble que le Moniteur universel, cité par ce journal, obéit à ce préjugé qui considère comme un mal l'émigration de la partie exubérante des populations ouvrières, quand il affirme que le gouvernement des États-Unis fait enrôler de force les émigrants étrangers. Pourquoi userait-il de la force, en effet, quant il dispose d'autres moyens tels qu'une prime d'engagement  très élevée (on nous a cité le chiffre de 3,000 francs) et une forte solde; de plus, si les combats sont généralement meurtriers, en revanche, ils ne se succèdent pas avec fréquence, et dans les intervalles, la vie des garnisons et des camps fournit d'amples amusements au soldat qui a le gousset bien garni.

L'enrôlement forcé des immigrants serait d'ailleurs, de la part de ce gouvernement, qui ne manque pas d'habileté, un acte hautement impolitique, car il équivaudrait à interdire aux étrangers l'entrée du pays sous les peines les plus sévères précisément au moment où il en a le plus grand besoin pour combler les vides que la guerre fait si rapidement dans les rangs de ses soldats et de ses travailleurs.

Ensuite, toutes les lettres écrites par les émigrants borains à leurs parents (et certes elles n'ont pas été dictées par les embaucheurs), sont unanimes sur les points suivants

1° Les salaires sont très élevés : ceci s'explique par la vive concurrence que l'armée, les balles et la mitraille font à l'industrie privée, dans la demande des bras;
2° Les moyens d'existence sont abondants et de bonne qualité; leur prix est très bas relativement au taux des salaires, la bière seule exceptée;
3° Les immigrants jouissent de la plus parfaite liberté, ni passeports, ni livrets, ni tracasseries policières d'aucune espèce;
4° Vives instances auprès des parents et des amis, pour les engager à passer en Amérique.

Comme on le voit, tout ceci s'accorde fort peu avec le sombre tableau que tracent certains journaux des déconvenues et des mésaventures qui attendent le pauvre ouvrier, belge ou français, assez mal avisé pour mettre le pied sur le sol américain.

Un mot encore sur cette question, si mal comprise : il peut sembler regrettable que ces abominables  « embaucheurs »agissent spécialement sur nos ouvriers mécaniciens et métallurgistes, dont les salaires, généralement élevés, prouvent qu'ils ne surabondent pas dans le pays; mais outre que l'action naturelle de la concurrence ne tarde pas à rétablir l'équilibre du salaire entre les travailleurs des diverses professions, c'est un fait, désormais consacre par l'expérience, que l'émigration doit toujours commencer par les ouvriers les plus intelligents (et partant les mieux payés) pour s'étendre ensuite, de proche en proche, jusqu'aux plus misérables, tels que les ouvriers agriculteurs et fileurs des Flandres, par exemple, qui auraient bien de la peine à se tirer d'affaire en pays étranger, s'ils n'étaient précédés par des éclaireurs et des pionniers plus intelligents et moins dégradés par la misère.

La chambre de commerce d'Ypres et Dixmude reconnaît que les salaires sont trop bas dans cet arrondissement, mais qu'elle sache qu'il ne dépend pas du bon vouloir des patrons de les relever, aussi longtemps que l'offre du travail dépasse la demande. A moins d'une grande et prompte reprise des affaires, peu probable en ce temps de crise, les deux seuls remèdes à l'excès de la population ouvrière sont l'émigration ou la mort. Or en admettant même, ce qui n'est pas avéré, que le premier soit un mal, n'est-il pas bien préférable encore au second?

Nous engageons donc certains de nos confrères de la presse, à réfléchir sérieusement, avant de condamner sans appel, l'émigration de nos ouvriers, et d'appeler la haine ou le mépris public, ainsi que la vindicte de lois surannées et injustes, sur des personnes utiles et dévouées aux intérêts de la classe ouvrière, que l'on flétrit du nom insultant d'embaucheurs.

CH. LE HARDY DE BEAULIEU.

L'Enonomiste Belge du 2 juillet 1864. p. 162

L'ouvrier belge est-il donc un esclave ? 

Cette exclamation nous est échappée à la lecture d'un entrefilet, publié par l'Étoile belge du 29 juin, sans autre commentaire que s'il s'agissait de la chose la plus simple et la plus naturelle du monde :

« Un nommé D…., venu de l'Amérique, vient d'être arrêté par le commissaire de police d'Ougrée et le maréchal-des-logis de gendarmerie de Seraing pour embauchage d'ouvriers. »

Comment! un étranger, ou un Belge ayant longtemps résidé au dehors (M. Louis Dochez, qui est, très probablement, la personne désignée sous l'initiale D., est dans ce cas) fait à un ou plusieurs avocats, médecins, ingénieurs, professeurs, industriels ou artistes de notre pays, la proposition de les aider à s'établir dans une contrée étrangère, où ils auront des émoluments ou des profits doubles de ce qu'ils pourraient gagner en restant chez eux, ou bien encore, il offrira aux capitaux belges un intérêt de 2 ou 3 p. c. plus élevé que celui dont ils jouissent ici, et l'on n'aura pas assez de formules laudatives pour remercier cette personne du bien qu'elle fait au pays. Mais si cette même proposition est faite à nos ouvriers, oh! alors, c'est bien autre chose ! Elle est qualifiée de délit d'embauchage par l'art. 417 du code pénal, qui le punit d'un emprisonnement de six mois à deux ans et d'une amende de 50 à 500 francs.

Pourquoi cette différence? et comment la concilier avec l'art. 6 de notre constitution, qui déclare tous les Belges égaux devant la loi?

Comment se fait-il, que dans un pays qui se qualifie si fièrement de « libre Belgique » tant de lois barbares qui nous ont été imposées par un régime tyrannique, n'aient pas été abrogées, virtuellement et de fait, par notre pacte fondamental resté, à leur égard, une lettre morte?

Enfin, comment se fait-il aussi, que nos industriels, qui ne se font pas faute de faire venir des ouvriers de l'étranger, quand ils ont besoin de leurs services ou qu'ils les obtiennent à plus bas prix, provoquent encore, contre les « embaucheurs » qui ne font que les imiter, les rigueurs d'une loi inique? Est-ce équitable, est-ce chrétien? Est-il juste aussi, et conforme aux principes d'une saine économie politique, que le patron, dans la crainte de devoir payer un salaire un peu plus élevé à ses ouvriers, leur interdise de profiter d'une occasion d'accroître leurs ressources dans une bien plus forte proportion?

Ceux de nos industriels qui, tout en se proclamant libéraux, éclairés et bons chrétiens, en agissent ainsi, ne sont que de fanatiques continuateurs du régime féodal, qui s'obstinent à considérer leurs ouvriers comme des serfs, inféodés à leur usine on à leur fabrique, comme jadis le manant à la glèbe, et, comme lui, taillables et corvéables à merci. On sait comment les serfs se sont vengés du régime féodal; voudrait-on contraindre nos ouvriers à suivre leur exemple ? A Dieu ne plaise, car c'en serait fait, pour longtemps, du repos et de la prospérité dans notre Belgique.

Aussi espérons-nous encore qu'à l'occasion du fait qui vient de se passer, tous les industriels réellement éclairés, ainsi que toute la presse vraiment libérale et progressive, se joindront à nous, pour demander la mise en liberté de « l'embaucheur » et la prompte abrogation de l'article 147 du code pénal qui punit comme un délit l'acte bienfaisant de chercher à améliorer la condition de l'ouvrier.

CH. LE HARDY DE BEAULIEU.

Lettre du Consul de Belgique à New York

A son excellence Monsieur Ch. Rogier
Ministre des Affaires étrangères à Bruxelles

New York 15 juillet 1864

Monsieur le Ministre,
Vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 13 juin dernier … pour me demander des renseignements sur la position qu'ont trouvée en ce pays des ouvriers mineurs partis depuis quelques mois de Belgique par centaines pour aller travailler dans les charbonnages de l'Amérique du Nord. Je crois pouvoir satisfaire immédiatement à l'objet de votre lettre, et n'avoir besoin ni d'une vérification qui serait aussi longue que difficile pour moi à la distance que je suis de ces charbonnages, ni d'une longue discussion des faits qui sont venus à ma connaissance. Je suppose que ce qu'il vous importe d'avoir, c'est surtout une réponse prompte et nette sur l'ensemble des faits.
Il a passé par ici, à ma connaissance, deux convois de ces mineurs, l'un de 82 individus le 5 octobre dernier, l'autre de 171 le 3 novembre, tous deux expédiés par Mr Dochez et dirigés sur l'Illinois, le premier reçu ici et conduit à destination par un Sieur Page, le second par un M. Kirkland, l'un et l'autre membres des compagnies houillères associées de l'Illinois. 
De ces deux bandes, la première arrivée sur les lieux en passant par Chicago, après avoir éprouvé quelque difficulté à se mettre à l'ouvrage par suite de l'hostilité des mineurs irlandais qu'elle venait remplacer, s'est bientôt laissé débaucher en masse par ces mêmes irlandais, et a rompu ses engagements et abandonné la mine avec des circonstances aggravantes. 
La seconde bande à laquelle on a su faire prendre un chemin détourné pour lui faire éviter tout rapport avec la première paraît avoir mieux tourné pour les propriétaires : mes renseignements à son égard ne vont pas aussi loin qu'à l'égard de la première. Je n'ai pas revu un seul des individus de l'un ni de l'autre convoi. 
Il résulte de là, indubitablement pour moi, que les uns et les autres se sont jusqu'ici bien trouvés, les premiers d'avoir violé leur contrat, et les derniers de s'y être tenus : car en cas de détresse, les émigrants retombent de toutes parts sur New York ; or, ainsi que je l'ai dit, je n'en ai pas vu un seul. 
Je ne sache pas qu'il ait passé par ici d'autres convois du même genre, soit pour l'Ouest, soit pour d'autres destinations. Cependant il y a un mois, sept à huit mineurs belges, arrivant des charbonnages de Pennsylvanie, sont venus se plaindre de ce que les propriétaires, après un mois ou deux de travail, n'avaient plus voulu tenir les contrats passés avec eux par M. Dochez, disant qu'ils étaient onéreux pour eux, et avaient voulu les mettre à la tâche a des conditions qui ne leur auraient pas donné de quoi vivre. Ils se disaient, du moins quatre d'entre eux, hors d'état de retourner en Belgique, et demandaient que le Consulat vint à leur secours. Je les adressai immédiatement à un propriétaire de mines de ma connaissance dont les mines sont en Pennsylvanie et qui paye ses ouvriers deux ou trois dollars par jour depuis le renchérissement de la main d'œuvre. 
Il ne paraît pas qu'ils aient fait usage de ma lettre : je ne les ai pas revus. Je suppose qu'ils avaient tous le moyen de retourner en Belgique et qu'ils y sont retournés en effet. Ils m'avaient dit qu'ils étaient suivis par une vingtaine de camarades qui s'adresseraient également à moi. Je n'en ai vu aucun.
Quoi qu'il en puisse être des véritables motifs qui leur ont fait quitter leur position, il est certain que ceux là ne se sont pas bien trouvés de leur essai d'émigration.
Il faudrait donc d'après cela distinguer entre les chances que présentent aux émigrants les charbonnages de Pennsylvanie et ceux de l'Ouest, différence qui d'ailleurs existe certainement entre ces deux parties de l'Union pour toute espèce d'émigrant en général.
Je n'ai ici en vue que les cas d'une émigration par troupes déterminée soit par l'entraînement des populations elles mêmes, soit par l'intervention des spéculateurs et des agents d'émigration; car il est évident que dans les cas d'émigration purement individuelle, les chances dépendent des conditions particulières de l'entreprise et non pas des circonstances générales. Ainsi il y a dans les mines de cuivre de Bethlehem en Pennsylvanie un certain nombre de belges qui ne sont allés là qu'un à un en quelque sorte et en parfaite connaissance de cause et qui y ont merveilleusement réussi.
Toute immigration en masse, qu'elle soit déterminée par l'action des gens à projets, par la spéculation commerciale ou par le courant des idées populaires ne peut jamais être qu'une entreprise hasardeuse. Mais c'est un mouvement qui est dans le cours naturel des choses; des faits de ce genre se sont vus en tout temps et en tous pays, et je pense que le gouvernement n'y doit intervenir ni pour ni contre, tant qu'il n'y a ni fraude a réprimer, ni désastre à craindre.
Or ce n'est évidemment pas le cas dans le fait dont il s'agit. L'entreprise dont Mr Dochez est l'agent en Belgique est certainement une chose très sérieuse et qui ne suppose ni mauvaise foi, ni emploi de moyens illégaux dans l'exécution : seulement je ne la regarde pas comme bien combinée. Mais en tout cas, s'il doit y avoir désastre, je crois que ce n'est que pour les propriétaires de mines. Je pense qu'ils ne tarderont pas à s'en apercevoir, si cela n'est pas déjà arrivé, et que tout ce mouvement s'arrêtera de lui même, sans avoir enlevé à la Belgique ce qu'elle a de mieux en fait d'ouvriers mineurs.
Il est presque inutile d'ajouter que je ne suis pour rien dans aucun des faits dont j'ai pu les aider. Mr Dochez à son départ pour l'Europe, il y a un an, m'a fait une visite de pure forme. Quelques temps après, M. Henrotin, notre Consul à Chicago donna à M. Page une simple lettre d'introduction auprès de moi et, à l'arrivée du premier convoi, ce furent les hommes eux-mêmes, que des racoleurs de toute espèce cherchaient à débaucher, qui demandèrent que j'allasse les voir au débarcadère de la commission d'émigration, ce que je fis; je les rassurai sur les comptes des propriétaires de mines qui les avaient fait venir, et je leur procurai aux frais de nos deniers un interprète dont tout le monde a été parfaitement content. Enfin, au mois de décembre, Mr Kirkland vint me demander les mêmes bons offices pour l'arrivée prochaine du second convoi; mais il n'en eu pas besoin.
Je n'ai donc pas été initié au fond de l'affaire, et je serais fort embarrassé pour vérifier les faits, ne pouvant m'adresser ni à Mr Henrotin, quelque bons que soient nos rapports, précisément parce que je crois qu'il a été mêlé dans l'affaire (je ne dis pas intéressé) ni à M. Melin qui paraît être toujours démissionnaire, ni à Mr Hunt dont l'exequatur a été relevé, ni enfin à M. VanderEspt que je ne crois pas être en position de se procurer des renseignements dans une affaire du genre de celle-ci.

Je suis avec respect, Monsieur le Ministre, votre très humble et très obéissant serviteur,
Henry W Mali 
 


Lettre du Consul de Belgique à New York

A son excellence Monsieur Ch. Rogier
Ministre des Affaires étrangères à Bruxelles

New York 19 aout 1864

Monsieur le Ministre,
Voici pour faire suite à ma lettre du 15 juillet dernier, un nouveau fait qui m'a fourni l'occasion d'examiner de plus près cette fois ci les engagements de mineurs que Mr Dochez fait en Belgique pour les Etats-Unis. Cet examen a modifié mon opinion sur ces opérations.
Le 27 du mois passé quatre mineurs belges revenant des mines de la Pennsylvanie se sont présentés au consulat et m'ont dit qu'après trois ou quatre mois d'essai ils avaient quitté les mines, parce que les propriétaires ne voulaient pas tenir leurs contrats avec Mr Dochez tels qu'ils étaient. Ils ajoutaient qu'il leur était impossible de rester aux conditions qu'on leur faisait, et demandaient que je les aidasse à retourner en Belgique, attendu qu'ils se trouvaient presque sans argent, l'un ayant eu a entretenir avec lui sa femme et son enfant, et les autres ayant envoyé à leurs familles leurs économies des premiers mois.
J'ai vu les contrats de ces gens, j'ai entendu et vérifié autant que possible leurs explications, j'ai discuté avec eux leur position, et il est résulté pour moi de tel examen que tous leurs griefs se résument en ce point : on leur a promis en Belgique 40 dollars ou 200 francs par mois, et quand ils veulent envoyer en Belgique la valeur de ces 40 dollars, ils n'en trouvent que 100 à 120 francs. Or chez eux ils gagnaient de 4 à 5 francs par jour, soit 100 à 125 francs par mois. On leur a donc fait quitter leur pays, et à quelques uns d'entre eux leurs femmes et leurs enfants, sans aucun profit pour eux. Voilà la conclusion de ces gens.
Voici la mienne : Mr Dochez en leur disant au mois de février dernier que 40 dollars faisaient 200 francs, les a positivement et sciemment induits en erreur. Il ne pouvait ignorer qu'a cette époque le dollar en papier du gouvernement, seule monnaie courante du pays, ne valait pas 5 francs, qu'il n'en valait alors que 3 à 3.50 et qu'il y avait grande chance qu'il vint à valoir moins encore. En conséquent il doit être hautement démenti sur ce point capital de ses opérations.
Voilà la question réduite à des termes très simples et tranchée nettement. Pour en venir là, j'ai laissé de côté beaucoup de circonstances sur lesquelles je vais maintenant revenir, parce que je prévois que d'une part la rumeur publique exagèrera les sujets de plainte de ces gens, quand on en entendra parler en Belgique, et que d'un autre côté M. Dochez ne manquera pas d'équivoquer sur les faits pour se justifier.
Les quatre individus dont il s'agit sont
Louis Joseph Lenne, de Baisieux, charbonnier, ayant laissé sa femme et six enfants en Belgique. Son contrat passé à Seraing le 23 février 1864 en présence de J. P. Glandrin et de Jerôme Carpentier est signé Louis A. Dochez, agent général des sociétés minières américaines de Brady's Bend, Pensylvanie. Il lui assure 40 dollars (200 francs) par mois pendant 2 ans. Cet homme a envoyé dernièrement à sa femme la valeur de 60 dollars qui n'ont donné que 100 à 120 Francs.
Charles Gislain Joseph Massiaux de St Germain, mineur en fer, ayant laissé sa femme et deux enfants en Belgique. Son contrat signé Louis A. Dochez, agent général des sociétés minières américaines, pour la société de Brady's Bend, lui assure également 40 dollars (200 francs) par mois. Il a versé 40 dollars pour en faire parvenir la valeur à sa femme : elle n'a reçu que 80 francs.
Jean Joseph Villiers, de Fosse, mineur en fer, célibataire. Son contrat du 15 février, signé Louis A. Dochez, agent général de la société de Brady's Bend, qui figure dans le corps de l'acte comme agent général des sociétés minières américaines pour William B. Ogden(président) lui promet pareillement 40 dollars (200 francs), lesquels n'ont donné non plus que 2 francs au dollar, quand il a envoyé ses économies à sa mère.
Charles P. Julien, de Liège, charbonnier, qui a avec lui sa femme et son enfant. Cet homme n'a pu me montrer son contrat, mais lui et ses camarades m'ont dit qu'il était comme les autres.
Je pensais d'abord que le principal grief de ces hommes était qu'on eut voulu les mettre à la tâche, au lieu de les faire travailler à la journée, ou plutôt au mois, comme portent leurs contrats. Mais ils me laissèrent bientôt voir qu'ils auraient fait bon marché de cette clause, si l'on avait voulu les payer à raison de 5 francs le dollar. Lenne même avait dit à la Compagnie qu'il se contenterait du dollar en papier, si l'on voulait faire venir sa femme et ses enfants : la Compagnie avait refusé.
Je leur ai objecté, et M. Dochez objectera sans doute qu'il est notoire qu'en travaillant à la pièce un bon ouvrier gagne 4 et 5 dollars en papier par jour, ce qui donne au moins les 40 dollars ou 200 francs des contrats. Des propriétaires de mines en Pennsylvanie de ma connaissance m'ont dit et répété qu'ils ont beaucoup d'ouvriers qui vont jusqu'à 8 et 10 dollars par jour. Les belges m'ont répondu positivement que la où ils étaient, il était impossible de faire, tout frais déduits, plus de deux dollars en papier par jour, tout en reconnaissant qu'il y a d'autres mines dans le pays, ou même a Brady's Bend, d'autres gîtes où l'on peut faire beaucoup plus, mais où eux, nouveaux venus, ne sachant pas la langue et sans relations avec les gent et employés des mines, il leur est impossible de se faire admettre. Ils ont à ce propos cité l'exemple d'un de leurs compagnons, un jeune homme qui par suite d'une connaissance qu'il avait faite dans le pays avait obtenu une de ces positions privilégiées.
Ces hommes reconnaissent du reste que les autres promesses de leurs contrats se sont réalisées: les mines sont d'un accès facile, et les frais de logement et de nourriture sont tels qu'ils ont été annoncés.
Après les avoir dirigés de manière à alléger autant que possible leurs frais de séjour à New York, j'ai écrit au représentant de la Compagnie de Brady's Bend en cette ville pour lui demander 1° si M. Dochez était formellement autorisé à recruter pour la Compagnie, et 2° si en cas de désaccord sur l'interprétation du contrat, la Compagnie ne se croyait pas tenue de renvoyer les mineurs engagés par M. Dochez dans leur pays. Il m'a répondu que les hommes dont il s'agit avaient quitté non par suite d'un acte de la Compagnie, mais par suite de leur inaptitude à faire consciencieusement ou a bien faire aucunement le travail pour lequel ils se sont engagés : but simply by their own inability to perform faithfully or in any part well the labor they represented themselves at competent to undertake. Il m'annonçait à cet égard des explications ultérieures que je n'ai point encore reçues.
Je dois dire cependant que tous ces hommes avaient la mine d'ouvriers d'une aptitude pour le moins ordinaire. Il n'est pas supposable en effet que M. Dochez recrute ses hommes dans le rebut de la population ouvrière ; et d'un autre côté on ne voit pas que ces hommes se soient engagés à faire un autre travail que le travail ordinaire des mines. Je dois donc considérer la réponse du représentant de la Compagnie comme évasive, et en conclure que tout en donnant une mission à M. Dochez, elle s'est réservé de ratifier ou non ses engagements.
Pour en finir, j'ai conseillé à ces gens de retourner dans d'autres mines et d'y travailler assez de temps pour amasser le montant de leurs frais de retour et je leur ai donné une lettre pour les propriétaires dont j'ai parlé. On me dit que deux d'entre eux, Julien et Villiers en ont fait usage et que les deux autres ont pris passage sur un vaisseau pour le Havre.
J'avais questionné ces hommes sur la manière dont M. Dochez s'y était pris pour les engager. Il résulte de leurs réponses qu'il n'a employé que la voie d'un appel public au moyen d'affiches. Le moyen n'a évidemment rien en soi que de légitime, et loin d'aggraver le fait de la promesse des 200 francs, il est plutôt de nature à l'atténuer : car je m'étonne qu'entre tant de personnes intéressées à retenir les ouvriers ou appelées à les éclairer, il ne s'en soit pas trouvé une assez instruite des faits pour suggérer à ceux-ci l'idée de demander à M. Dochez des explications plus précises sur le fait de ces 40 dollars et de ces 200 francs, ainsi que sur la portée de ses pouvoirs d'agent général des sociétés minières américaines. La moindre discussion aurait tout tiré au clair.
Depuis que cette lettre est commencée, il m'est encore venu deux mineurs des deux convois arrivés en octobre et en décembre 1863 pour l'Illinois. C'étaient deux jeunes gens de belle venue et de très bonne mine. Après avoir quitté les mines de La Salle et de Danville pour lesquelles ils étaient engagés, ce en quoi ils reconnaissaient avoir eu tort dans leur propre intérêt, ils avaient travaillé de côté et d'autre jusqu'en Pennsylvanie et voulaient s'en retourner ; ils ne demandaient ni argent ni secours : ils avaient trouvé facilement a se placer comme chauffeurs à bord du steamer français Washington parti avant hier pour le Havre. L'un d'eux m'a dit qu'il gagnait de 4 a 5 francs en Belgique et qu'il n'avait pas trouvé à gagner davantage dans l'Artois ni aux Etats-Unis.
De tout ce qui précède, je tire les conclusions suivantes :
1° Il n'y a rien d'absolu à dire sur la condition du mineur de charbon : tout dépend des conditions particulières, soit personnelles, soit locales. Le salaire peut varier de 2 a 10 francs pour le même homme dans des mines et dans des gîtes différents, ou pour différents individus dans les mêmes mines et dans les mêmes gîtes.
2° En général la condition du mineur est en tout payé à peu près la même, il n'a pas d'intérêt, généralement parlant, à se déplacer.
3° Les recrutements de mineurs par masses, tels que ceux entrepris par M. Dochez sont de mauvaises opérations tant pour les propriétaires que pour les ouvriers. Elles peuvent même devenir désastreuses pour les uns et pour les autres. Tout déplacement d'ouvriers à grande distance, pour être profitable, doit être l'œuvre du temps et d'une expérience acquise par des essais presque individuels sur des points déterminés et à la suite de renseignements particuliers.
4° En tout cas, l'opération de M. Dochez n'est certainement pas conduite comme elle devrait l'être. Ses contrats sous seing privé, sur formules imprimées, sans même production d'un pouvoir en règle, ne sont, à vrai dire, que des chiffons de papier sur la foi desquels il est déplorable de voir des pères de famille se risquer pour un acte aussi important. Ces contrats devraient être précédés du dépôt des pouvoirs de M. Dochez chez un notaire, de Bruxelles par exemple ; chacun d'eux devrait être passé devant un notaire de la localité de l'ouvrier et accompagné d'une expédition du pouvoir ; le salaire devrait être stipulé payable au choix de l'ouvrier soit aux Etats-Unis, soit en Belgique au taux convenu en dollars et en Francs. Il devrait même, pour tout dire, y être ajouté une garantie pécuniaire qui assure l'ouvrier contre les chances de déception qu'il peut trouver dans le cours ou au bout de son voyage. Si l'on objecte que tant de frais et de formalités rendent l'entreprise impossible pour l'entrepreneur, je réponds que cela prouve que ce n'est possible qu'aux risques et périls de l'ouvrier et que c'est par conséquent mauvais pour lui
5° Tout indique que M. Dochez n'a point de pouvoirs en Forme, absolus ou tout au moins bien déterminés pour recevoir définitivement les ouvriers qu'il engage et pour obliger telle ou telle compagnie envers eux de manière à leur donner ici action en justice contre elle, mais seulement une mission générale qui ne lie les compagnies qu'envers lui.
6° enfin et surtout les contrats de M. Dochez contiennent soit un fait faux, s'il donne à croire que 40 dollars dans la monnaie courante du pays valent 200 francs, soit une fausse promesse, s'il donne à espérer que l'ouvrier gagnera ou pourra gagner l'équivalent de 200 dollars, c'est a dire 40 dollars en or. Cela ne s'est certainement pas réalisé pour les onze mineurs revenus de Pennsylvanie; cela ne se réalisera probablement pour personne dans les premiers mois, à moins de circonstances exceptionnelles.

Je suis avec respect, Monsieur le Ministre, votre très humble et très obéissant serviteur
Le Consul de Belgique Henry W. Malli

L'Economiste Belge du   1864. p. 255 

L’embauchage militaire pour le Mexique et l’embauchage industriel pour les Etats-Unis

Sauf quelques honorables exceptions, la presse entière à couvert de son silence les enrôlements faits pour le Mexique avec la connivence des autorités, quoique ces enrôlements soient interdits par la Constitution. Quelques journaux même ont été plus loin : ils ont chanté avec un enthousiasme lyrique les exploits des futurs successeurs de Fernand Cortez. A quelle source (nous prions messieurs nos compositeurs de ne pas nous faire dire à quelle bourse) puisaient-ils leurs inspirations ? M. le ministre de la maison du roi, chargé des abonnements aux journaux pourrait peut-être nous l'apprendre. Mais M. le ministre de la maison du roi est un homme discret, et d'ailleurs nous ne tenons pas à pénétrer les secrets de ménage de nos confrères du journalisme. Seulement voici ce qui nous choque : c'est que les mêmes journaux qui trouvent juste et raisonnable qu'on embauche pour le Mexique, avec l'approbation des autorités et en dépit de la Constitution, quelques milliers de nos jeunes compatriotes, alléchés, les uns par les mines métalliques de Guanaxuato et de Sombrerete, les autres par les mines non métalliques mais néanmoins pleines d'une Great attraction des jeunes filles aux yeux noirs de l'Anahuac, c'est que ces mêmes journaux, disons-nous, dénoncent avec la plus violente indignation, les enrôlement d'ouvriers qui se pratiquent dans quelques-uns de nos districts manufacturiers et miniers pour les États-Unis. Nous avons déjà entretenu nos lecteurs de ces enrôlements, et nous leur avons communiqué même d'excellentes nouvelles des enrôlés, qui avaient trouvé aux États-Unis des salaires doubles ou triples des salaires belges. C'est ainsi que nous avons publié dans notre numéro du 26 mars, une lettre de deux mineurs borains qui gagnaient à cette époque de 2 et demi à 3 dollars par jour dans les mines de Danvile.

Nous sommes en bonne santé, écrivaient ces braves gens, et nous nous trouvons très bien en Amérique; nous gagnons de 2 1/2 à 3 dollars par jour, ce qui fait fr. 13-12 à fr.15-75. J'insiste là-dessus parce que je sais que L... le borgne est revenu presque sans avoir travaillé, espérant de vivre en Amérique en oisif et en buvant bien. Quant à ceux qui aiment le travail, ils sont satisfaits et ne songent pas à retourner ni à quitter le lieu où nous sommes, que plusieurs ont abandonné dans l'espoir de gagner d'avantage, certains agents étant venus les embaucher sous ce prétexte. Mais ils nous ont écrit qu'ils avaient été trompés; qu'ils gagnaient moins et nous ont engagés à ne pas nous laisser séduire par les promesses de ces agents. Pour moi, je ne songe pas à m'en aller, car nous sommes bien conduits et bien payés ; on nous donne 56 fr. par waggon de charbon ; ainsi vous pouvez apprécier ce qu'un ouvrier peut gagner. »

Notons que ces salaires élevés pour le travail des mines n'ont rien qui doive étonner beaucoup, la houille valant en ce moment sur le marché de New-York 14 et 15 dollars soit fr. 60 à fr. 70 la tonne.

L'émigration pour les États-Unis est donc, au témoignage du brave ouvrier borain dont nous avons publié la lettre, particulièrement avantageuse en ce moment, par suite précisément de la grande demande de bras que la guerre occasionne. Ce qui le prouve au surplus c'est que l'émigration des Allemands et des Irlandais vers New-York n'a jamais été plus active. Maintenant, qu'un certain nombre de nos émigrants - jusqu'à présent nos journaux mexicains en ont cité six - aient eu à se plaindre de leurs enrôleurs, qu'ils aient même failli être victimes des embaucheurs militaires qui pullulent sur le sol de l'Union, cela n'a rien d'étonnant. Mais les embaucheurs militaires ne pullulent-ils pas encore ailleurs qu'aux États-Unis ?

Nous ne pouvons donc partager l'indignation vertueuse qu'éprouvent contre l'embauchage industriel pour les États-Unis, les mêmes journaux qui applaudissent à l'embauchage militaire pour le Mexique. Nous nous demandons même si cette indignation est parfaitement bon teint; si nos journaux mexicains ne voient pas simplement dans les enrôleurs d'ouvriers pour les mines et les manufactures américaines des concurrents qui finiraient par faire hausser le prix de la marchandise humaine à destination du Mexique; s'il ne serait pas opportun en conséquence d'inviter, avec l'appui de l'opinion publique, les autorités à rie pas se borner à protéger les enrôlements militaires pour le Mexique, mais encore à prohiber les enrôlements industriels pour les États-Unis ?

A notre avis, l'autorité devrait se borner uniquement en cette affaire à réprimer les fraudes et les tromperies qui se commettent en matière d'enrôlements militaires ou industriels, en laissant nos nationaux pleinement libres de porter leurs bras dans les mines et manufactures des Etats-Unis, ou leurs os dans les défilés et les chapparals du Mexique.