Les Vigneau
 

Histoires, anecdotes et légendes acadiennes
par Roger Hétu
Grand-Pré, Bassin des Mines, Acadie.

 

Les Vigneau, ces grands voyageurs

Au Québec, il n'est pas étonnant de retrouver presque la totalité des 4 premières générations d'une famille à moins de 50 km du lieu où l'ancêtre s'est installé. Faire la généalogie d'une famille acadienne est une toute autre histoire. D'ailleurs, pour ce peuple, construire un arbre généalogique sans connaître l'histoire, est un exercice incompréhensible.

Afin d'illustrer cet énoncé, voyons la famille acadienne de Pierre Vigneau (à Jacques à Maurice). Pierre est né en 1726 à Baie-Verte, Acadie Française. Il épouse Madeleine Cyr en 1746 à Beaubassin. Il meurt en 1811 à Havre-Aubert, Îles-de-la-Madeleine.

De ce mariage naissent au moins huit enfants:
i. Pierre Roch: né en 1746 à Beaubassin, décédé en 1803 à Ingouville, France.
ii. Marie-Modeste: née en 1748 à Beaubassin, décédée en 1779 à  La Rochelle, France.
iii. Rosalie: née en 1753 à Beaubassin, décédée en 1830 à Havre-Aubert, Îles-de-la-Madeleine.
iv. Marie: née en 1756 à Georgetown, Caroline du Sud
v. Jacques: né en 1761 à Roxbury, Massachusetts, décédé en 1839 à Havre-Aubert, Îles-de-la-Madeleine.
vi. Marguerite; née en 1764 à Miquelon ( archipel St-Pierre-et-Miquelon), décédée en 1779 à La Rochelle, France.
vii. Louis; né en 1766 à Miquelon et décédé en 1844 à Havre-Aubert.
viii. Jean-Baptiste, né en 1768 en haute mer entre l'Europe et L'Amérique.

Sans aucune explication historique, on ne pourrait qu'affirmer que ces colons avaient des fourmis dans leurs sabots... Des milliers de kilomètres séparent les naissances et décès des membres d'une même famille. La famille de Pierre Vigneau n'était pas une exception. L'histoire de quatre générations de familles acadiennes est une odyssée d'exils à la dizaine.

Paul Vigneau, l'ancêtre canadien des Vigneau, était un soldat de la marine, embarqué avec la Cie de Maximy (régiment Carignan) sur le "La Paix" . Ce voilier quitta La Rochelle le 13 mai en direction de Québec où Paul débarqua le 20 août 1665. Il épouse une canadienne, Françoise Bourgeois et installe sa famille à L'Île d'Orléans en 1669.

Son fils Maurice né en 1674, devint l'ancêtre de la branche acadienne des familles Vigneau. Charpentier du Roi, il arriva à Port-Royal en 1701 afin de travailler aux fortifications.

Son travail était devenu nécessaire suite aux raids des rangers et corsaires de la Nouvelle Angleterre, qui venaient régulièrement venger les raids meurtriers des Abénaquis et des Français, qu'ils subissaient eux-mêmes. Les résidents de la rivière Dauphin qui arrose Port-Royal, avaient, pour se protéger, développé une routine utilisée plusieurs fois à chaque année. Dès qu'ils apercevaient un voilier à l'horizon, alarmés avant même d'en identifier le pavillon, ils mettaient leurs possessions sur une charrette et se cachaient dans la forêt. Au départ des envahisseurs, la population retournait à leur domicile. Ce retour était suivi d'une corvée de réparation des digues et de  reconstruction des maisons détruites.

En septembre 1701, Maurice Vigneau devint acadien par son mariage avec Marguerite Comeau fille de Pierre l'aîné et Jeanne Bourg.

Les familles acadiennes ont connu plus souvent qu'à leur tour la déportation et l'exil. Suivons la famille Vigneau dans ses péripéties.

1) Les Vigneau subirent leur premier exil suite au traité d'Utrech (1713) qui donne l'Acadie à l'Angleterre. Les acadiens doivent choisir, le serment d'allégeance à l'Angleterre ou l'exil. Les Vigneau s'exilent d'abord à l'Île Royale (Port Toulouse). A peine une décenie plus tard, parmi ces derniers, on retrouve la famille de Jacques Vigneau à Beaubassin.

2) Au printemps de 1750 lorsque les Français brûlent toutes les maisons et autres bâtiments de Beaubassin les acadiens sont en quelque sorte déportés quelques kilomètres plus à l'ouest au Fort Beauséjour. C'est le deuxième déménagement de force subit par les Vigneau.

3) Au grand dérangement de 1755, les Vigneau de Beauséjour-Beaubassin sont déportés en Georgie. Leurs cousins de Port Toulouse s'enfuirent en Nouvelle Écosse lors de la chute de Louisbourg en 1758. Ces derniers furent faits prisonniers à Chédabouctou (Guysborough) de 1760 à 1763.

4) En mars 1756, les Vigneau et autres acadiens de la Georgie obtiennent la permission de se rendre en Caroline du Sud.

5) De 1757 à 1761 les Vigneau se regroupent près de Boston. Les autorités du Massachusetts les empêchent d'aller plus loin.

6) Le traité de Paris de 1763 autorise les acadiens à quitter les colonies anglaises. Jacques Vigneau transporte sur son navire le "St-Jacques", 116 acadiens, vers l'Île Miquelon.

7) Ces Vigneau ne font pas partie du groupe que le gouverneur Dangeac déporte à Nantes en Novembre 1765. Mais l'Archipel St-Pierre et Miquelon ne pouvant accommoder autant de résidents, en 1767, le sieur Choiseul donna l'ordre de rapatrier 586 acadiens à Paris. Les Vigneau faisaient partie de ce groupe.

8) La plupart ne purent s'adapter à la vie métropolitaine et furent si misérables que Choiseul se ravise et permet le retour dès l'année suivante. Les Vigneau se retrouvent donc à Miquelon en 1768.

9) Suite à la révolution américaine débutée en 1776 et l'intervention de Lafayette en faveur des colonies américaines, le gouverneur Britannique de Terre-Neuve s'empare de l'archipel St-Pierre et Miquelon en 1778. Il détruit toutes les habitations et déporte les habitants, incluant les Vigneau, en France.

10) Le traité de Versailles redonne en 1783 les Îles St-Pierre et Miquelon à la France. Les Vigneau retournent aux îles.

11) Suite à la révolution française (1792-1793), l'Abbé Allain, curé de Miquelon, refuse de signer le serment de la constitution civile du clergé. Il s'exile et amène avec lui 223 Miquelonais, dont plusieurs Vigneau, à Havre-Aubert (Îles de la Madeleine). Ce faisant ce groupe evite la déportation de 1794 des Îles St-Pierre et Miquelon.

12) Issac Coffin devient, en 1798, le seigneur des Îles de la Madeleine et exige une rente inacceptable des locataires acadiens. Les Vigneau de nouveau en exil sont dispersés sur la Côte-Nord (Natasquan), à l'île d'Anticosti, au Labrador, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle Écosse.


En somme ces acadiens ont vécu une dizaine d'exils en quelques générations. Malgré tout, ce peuple s'enracine, partout. On les retrouve aujourd'hui, en France, au Québec, au Nouveau Brunswick, en Nouvelle-Écosse, en Louisiane, etc...

Voici quelques personnes illustres issues de cette famille Vigneau:

Pierre-Jean Veniot (Vigneau fut anglicisé en Veniot) fils d'Étienne, est né le 4 octobre 1863 à Richibucto au Nouveau Brunswick. Il fut toutefois élevé à Pictou en Nouvelle Écosse. Il revient au Nouveau Brunswick et y épouse Catherine Melanson en 1885 à Scoudouc. Il est élu député à l'assemblée législative en 1894. Il fût Ministre des travaux publiques en 1922, puis Premier Ministre du Nouveau Brunswick en 1925. De 1926 à 1930, il fût Ministre fédéral des postes.

Un autre petit cousin, Gilles Vigneault , fils de Placide William Vigneault et M.-Appoline Adelaïde Landry, naît le 27 octobre 1928 à Natashquan, Côte-Nord. Il devint un poète, compositeur et chansonnier québécois célèbre.
Avait-il hérité ce talent de son ancêtre Jean Vigneau "dit L'Écrivain"?