Vaud, Switzerland GenWeb

Histoire du Canton de Vaud

Par Auguste Verdeil (1795-1856)

(Lausanne, Martignier et Compe., 1849-1852)



LIVRE TROISIEME


LE PAYS DE VAUD SOUS LA MAISON DE SAVOIE.

XIIIe-XVIe SIECLE.


Chapitre IX.

Jaques de Savoie, comte de Romont, baron de Savoie.

1465-1476.


§ 3. Grandson et Morat.

1476.

Le duc de Bourgogne dirige son arm�e sur la Suisse pour d�livrer le Pays de Vaud. - Guillaume de La-Sarra surprend les Bernois dans Yverdon. - Yverdon br�l� par les Suisses. - Charles-le-Hardi entre dans le Pays de Vaud. - Bataille de Grandson. - Charles-le-Hardi � Lausanne. - Camp des plaines du Loup. - Jean de Gingins reprend le Bas-Valais; il assi�ge Sion, et est d�fait par les Bernois et les Haut-Valaisans. - Les Bernois et les milices de Gessenay et du Pays-d'Enhaut envahissent les mandements d'Aigle et de Vevey; ils assi�gent la Tour-de-Peilz; Pierre de Gingins tu� � l'assaut; la Tour-de-Peilz, Vevey, le ch�teau du Ch�telard incendi�s, leurs habitants massacr�s par les Bernois. - Tentatives de paix � Lausanne; Louis XI les fait �chouer. - Bataille de Morat. - L'arm�e des Suisses envahit le Pays de Vaud. - Louis XI intervient. Congr�s de Fribourg. - Trait� de paix des Cantons avec la maison de Savoie. - D�membrement du Pays de Vaud.

Charles de Bourgogne �tait � Nancy lorsqu'il prit la r�solution de d�livrer le Pays de Vaud, apanage du comte de Romont, grand mar�chal de ses arm�es.

«J'ai bonne paix,» dit-il aux seigneurs de sa cour, «J'ai bonne paix avec les rois et les princes mes voisins, mais non avec les Suisses, qui ont fait grand outrage � mon cousin, le comte de Romont. J'ai l'intention de l'en venger au mois de f�vrier prochain.»

Charles, aussit�t, donne l'ordre � son arm�e de se diriger sur Besan�on, et lui-m�me, suivi de la cour la plus brillante de l'Europe, quitte Nancy le 11 janvier, et, onze jours apr�s, entre dans les murs de la cit� imp�riale de Besan�on.

Les Suisses, eux aussi, se pr�paraient � la guerre : les Bernois �vacuaient Jougne et Orbe apr�s y avoir mis le feu, et renfor�aient les garnisons de Grandson, d'Yverdon, de Rue, de Romont et de Payerne; les B�lois prenaient les m�mes pr�cautions sur leurs fronti�res; Berne et Soleure ne comptant point sur la neutralit� du margrave d'Hochberg, comte de Neufch�tel, dont le fils servait dans l'arm�e de Bourgogne, retenaient en �tage le vieux comte, faisaient occuper Neufch�tel, le Val-de-Travers et la Tour-des-Bayards, clef de la Franch-Comt�.

Le comte de Romont, pr�c�dant l'arm�e de Bourgogne, arrivait dans sa baronnie de Vaud; il s'emparait d'Aubonne, fief du comte de Gruy�re, qui, dans leurs invasions, s'�tait d�clar� pour les Suisses; il se rendait � Gen�ve et � Chamb�ry, pour se concerter avec son fr�re, le prince-�v�que de Gen�ve, et pour h�ter la lev�e de huit mille hommes que la r�gente d�cr�tait, pour d�fendre les �tats du jeune Philibert son fils, et ceux du comte de Romont, son beau-fr�re.

Cependant, des hostilit�s avaient commenc� dans le Pays de Vaud avant l'arriv�e du comte de Romont. Guillaume de La-Sarra, dont le ch�teau avait �t� saccag� et mis en cendres peu de mois auparavant, surprit Yverdon dans la nuit du 13 janvier, et fit main-basse sur les soldates suisses log�s dans la ville. Guillaume de La-Sarra attaque le ch�teau, et, donnant l'exemple, il monte le premier � l'assaut, et tombe gri�vement bless�. Malgr� la blessure de leur chef, les La-Sarra allaient emporter le ch�teau, lorsque le bruit se r�pand que l'arm�e suisse toute enti�re arrivait du c�t� de Payerne. Une panique soudaine s'empare et des hommes d'armes et des bourgeois; tous prennent la fuite et abandonnent la ville au premier occupant. Ce n'�tait point l'arm�e des Suisses qui approchait, mais un d�tachment destin� � renforcer la garnison d'Yverdon. Quelques jours apr�s cette affaire, le conseil de la guerre des Cantons ordonna une concentration de l'arm�e f�d�rale. Rue, Romont et Payerne furent �vacu�s, et la garnison d'Yverdon se replia sur Grandson, emmenant avec elle l'artillerie et les munitions du ch�teau qu'elle quittait.

L'arm�e de Bourgogne approchait. Charles quittait Besan�on le 6 f�vrier; le 8 il couchait � Jougne, o� il resta trois jours, inspectant et faisant d�filer sous ses yeux son arm�e, brillante �lite, forte de 20,000 hommes, r�put�e invincible; le 12 f�vrier il hissait son pavillon sur les ruines du ch�teau d'Orbe.

Charles avait en l'intention de p�n�trer en Suisse par le Comt� de Neufch�tel; mais il trouva les passages du Val-de-Travers et la Tour-des-Bayards si bien gard�s par les Suisses, qu'il fut oblig� de modifier son plan de campagne, et d'entrer dans le Pays de Vaud par Jougne et Ballaigues.

«Les populations vaudoises, observe M. de Gingins, accueillirent le duc de Bourgogne avec des transports d'all�gresse, car elles ne voyaient dans ce prince qu'un lib�rateur, et le vengeur des maux incalculables dont elles souffraient depuis un an. Tous les seigneurs du pays vinrent grossier son arm�e ou rendre hommage � sa brillante renomm�e, et les bourgeois des villes lui envoy�rent des vivres et des munitions de toutes esp�ces. Aussi, le camp de Charles-le-Hardi ressembla-t-il bient�t � une grande foire; on y affluait de toutes parts, et on y trouvait table ouverte � tout vivant. Le comte de Romont y arriva bient�t � la t�te de 8,000 hommes.

«L'arm�e bourguignone, que ces renforts portaient � environ 30,000 hommes, marcha sur Grandson, et se d�ploya en demi-cercle d�s les bords de l'Arnon aux rives escarp�es du lac. Grandson �tait donc investi de toutes parts. A la suite de deux assauts meurtriers, la ville fut emport�e le 28 f�vrier, et Stein, le commandant des Suisses, fut fait prisonnier. Une partie de la garnison s'�tait retir�e dans le ch�teau; mais, sans chefs sup�rieurs, les officiers furent divis�s entr'eux; les uns voulaient se rendre � discr�tion, les autres s'y refusaient bravement, quoiqu'ils n'eussent aucun espoir d'�tre secourus. Au milieu de ces altercations, un traitre, moiti� alsacien et moiti� bourguignon, nomm� Jean de Ronchamps, fut admis dans le ch�teau. Le parti qui voulait se rendre donna cent gouldes � Ronchamps pour qu'il entrepr�t d'�branler la constance de leurs camarades qui voulaient se d�fendre, en persuadant � ceux-ci qu'il �tait charg� par le duc de promettre � la garnison la vie sauve dans le cas o� celle-ci rendrait la place1.» Cette honteuse manoeuvre r�ussit; la garnison se livra sur la foi d'une pr�tendue capitulation, que le duc n'avait nullement autoris�e, et les trois cents hommes de la garnison furent impitoyablement pendus ou noy�s.

Cette repr�saille du massacre des trois cents hommes de Nyon � Estavayer, et de la bourcherie des Vaudois � Orbe et aux Cl�es, fut due � l'exasp�ration des populations vaudoises contre les Allemands, et non au duc Charles, comme on n'a cess� de le r�p�ter. Le jour m�me o� la garnison de Grandson fut massacr�e, ce prince �tait � plusieurs lieues de Grandson, occup� � une reconnaissance sur Vaumarcus et Gorgier, dont il s'emparait. Les Suisses, aux Cl�es, avaient donn� la vie sauve au valet de Pierre de Cossonay, pour qu'il devint le bourreau de son ma�tre et de la garnison des Cl�es; les populations vaudoises, � Grandson, par une d�plorable et cruelle repr�saille, donnaient la vie sauve � deux soldats suisses, pour qu'ils devinssent les bourreaux de leurs camarades.

Le lendemain de la prise de Grandson, le 1er mars, l'arm� bourguignone s'�branla d�s le matin, et form�e en trois colonnes, fortes chacune de 10,000 hommes, s'avan�a dans la direction de Neufch�tel. La premi�re, formant l'avant-garde, �tait command�e par le grand-b�tard de Bourgogne; la seconde, formant le centre, command�e par le duc, avait dans ses rangs la division du comte de Romont et du comte de Campobasso, chef des Italiens. L'arri�re-garde avait � sa t�te le fils du duc de Cl�ves et le comte d'Egmont.

Mais, les Suisses �taient pr�ts, et, au nombre de 20,000 hommes, avaient pris des positions avantageuses. A peine l'avant-garde de Charles-le-Hardi avait-elle d�pass� le village de Concise, que la principale colonne des Conf�d�r�s d�boucha inopin�ment sur les rampes bois�es que dominent la chartreuse de la Lance. Cette rencontre impr�vue des deux corps les plus avanc�s fut suivie d'un temps d'arr�t spontan�. Les Suisses se jet�rent � genoux pour implorer le Dieu qui donne la victoire, tandis que les Bourguignons se signaient, croisant leurs �p�es et baisant la terre. Apr�s l'accomplissement de cet acte solonnel, l'attaque commen�a des deux c�t�s avec un courage et une ardeur �gale. Ch�teau-Guyon, sire d'Orbe, chargea vigoreusement les Suisses � la t�te de la gendarmerie bourguignone; mais cette cavalerie ne put entamer les masses compactes des Suisses, masses immobiles et h�ris�es de piques, qui, fich�es en terre, opposaient � la cavalerie un rempart imp�n�trable. Alors le grand-b�tard de Bourgogne fit avancer une batterie d'artillerie qui le suivait, et dont le feu fit des ravages dans les rangs suisses. Ceux-ci soutenaient le feu avec leur intr�pitid� ordinaire; le r�sultat du combat �tait incertain, lorsque la seconde colonne des Suisses, qui avait tourn� Vaumarcus par les hauteurs de Provence, parut tout-�-coup sur la gauche des Bourguignons, et se pr�cipita sur leur flanc.

Le grand-b�tard de Bourgogne, voyant sa division sur le point d'�tre coup�e, voulut se rapprocher du corps de bataille du duc, qui �tait en arri�re, vers Corcelles; il se retira au petit pas, et toujours en combattant. Mais ce mouvement ne put s'ex�cuter avec assez d'ordre et d'ensemble pour ne pas ressembler � une d�route; soit par pr�m�ditation, soit par d�faut de courage, en voyant revenir sur eux la gendarmerie bourguignone, les Italiens du comte de Campobasso l�ch�rent pied en d�sordre. Le duc de Bourgogne chercha vainement � arr�ter ce commencement de fuite, et, saissant d'une main l'�tendard de St-Andr�, et, de l'autre, couchant sa lance en arr�t, il lan�a son grand cheval grison contre les Suisses. Il fut bravement second� par les troupes du comte de Romont; mais l'impulsion donn� par les l�ches fut plus contagieuse que l'exemple de la plus brillante valeur, et la fuite des Italiens d�cida du sort de la journ�e.

Cependant, Charles �tait parvenu � rallier son arm�e au troisi�me corps, qui s'avan�ait en bon ordre en avant d'Onnens, lorsque 4,000 Suisses, qui avaient suivi les pentes du Jura, d�bouch�rent par Fiez, tomb�rent sur le flanc gauche des Bourguignons, entre St-Maurice et Bonvillars, en faisant retentir l'�cho des montagnes des mugissements de leurs cornes alpestres.

Cette attaque impr�vue, ces sons inaccoutum�s, frapp�rent les rangs bourguignons d'une terreur panique. Ce fut en vain que Ch�teau-Guyon, qui commandait la cavalerie de l'aile gauche, chargea � deux reprises cette colonne suisse. Ch�teau-Guyon, apr�s des prodiges de valeur, fut tu� dans un marais, pr�s du moulin des Arnon, non loin du village de St-Maurice. Cette manoeuvre fut prise par l'infanterie, d�j� d�moralis�e, pour le signal de la d�faite. Alors, les Bourguignons, chass�s comme par une puissance surnaturelle, cess�rent de combattre; ils se mirent � fuir dans toutes les directions, et furent poursuivis jusqu'� Orbe par la cavalerie alsacienne. Le duc Charles lui-m�me fut entrain� dans la d�route jusqu'� Jougne2.

Les r�sultats de la bataille de Grandson furent immenses pour les Suisses. Par la nouvelle et savante tactique de leur redoutable infanterie, par leur prodigieuse intr�pidit�, ils venaient de d�faire l'arm�e la plus aguerrie de l'Europe. Le butin fut immense : munitions de guerre, vaisselle d'or et d'argent, tr�sor, joyaux et pierreries d'un prix inestimable; le tout fut estim� � 500,000 gouldes, soit pr�s de 2 millions de la monnaie actuelle. Cependant, les discussions qui s'�l�vrent entre les Suisses � l'occasion du partage de ce butin, les emp�ch�rent de poursuivre leurs avantages; plusieurs cantons rappel�rent leurs contingents, refus�rent de faire une guerre offensive, voulant, pr�tendaient-ils, qu'on attend�t les Bourguignons � la fronti�re du territoire du la Conf�d�ration.

Huit jours apr�s Grandson, Charles-le-Hardi avait r�organis� son arm�e, � la t�te de laquelle il rentra dans le Pays de Vaud. Le 11 mars il couchait � Orbe, et le lendemain il dressait son camp sur les plaines du Loup, au-dessus de Lausanne, et �tablit son quartier-g�n�ral � l'abbaye de Bellevaux, dont les r�ligieuses, les Dames Augustines, s'�taient retir�es, � l'approche de l'arm�e, dans leur maison de la rue Madelaine, � Lausanne.

Le comte de Romont se h�ta de r�parer les fortifications des villes et des ch�teaux que les Suisses n'avaient pas absolument ruin�es; il les munit de garnisons, et cantonna ses 8,000 hommes � Morges, Moudon, Rue, Romont et Payerne. Les villes du pays contribu�rent, par des dons voluntaires, aux frais de ces mesures et d�fense. Gen�ve donna trois cents �cus d'or, et Lausanne cent. De leur c�t�, les Bernois et les Fribourgeois se maintinrent � Morat, o� Adrien de Bubenberg, n'�coutant plus que la voix de sa patrie en danger, s'enferma avec 1,500 Bernois et 800 Fribourgeois, command�s par Guillaume d'Affri.

Du c�t� du Valais les pr�paratifs de guerre n'�taient pas n�glig�s. Le capitaine-g�n�ral de Savoie, Jean de Gingins, sire de Belmont, � la t�te d'un corps de 2,000 hommes, et second� par les vassaux du pays, �tait charg� de prot�ger le Chablais vaudois contre les entreprises des Valaisans et des sujets du comte de Gruy�re, qui cherchaient � couper le passage du St-Bernard. Jean de Gingins dut distribuer ses troupes sur une ligne �tendue : son fr�re, Pierre de Gingins, sire du Ch�telard, occupa, avec 500 hommes, le d�fil� de Chillon; le sire de Torrens d�fendait les passages des Ormonts, et le capitaine-g�n�ral lui-m�me gardait le passage du Rh�ne en avant du pont de St-Maurice. Ces d�tachements escarmouchaient journellement avec les hommes du Gessenay, des Ormonts, du Ch�teau-d'OEx et du Haut-Valais, qui les harcelaient en tombant sur eux � l'improviste par les nombreux sentiers de leurs montagnes.

Cependant, toute l'attention de Jean de Gingins se portait sur le corps de 4,000 Italiens � la solde du duc de Bourgogne, dont il �tait charg� de prot�ger la marche par St-Bernard. D�j� ces Italiens avaient franchi la montagne et avaient repouss� les avant-postes valaisans, lorsque le landsturm valaisan se porta en masse sur leurs flancs, alors qu'ils d�bouchaient par l'Entremont. Ils furent mis en d�route, et perdirent plus de 1,500 hommes, tu�s ou �gar�s dans les montagnes. Jean de Gingins se porta en avant pour rallier leur d�bris. Mais les Italiens, rentr�s dans le Val-d'Aoste, regagn�rent ensuite les bords du lac L�man par les montagnes du Chablais savoyard, travers�rent la lac � Evian, et furent se r�unir � l'arm�e bourguignone dans son camp de Lausanne.

Les Bernois, inform�s de ce qui se passait dans le pays d'Aigle, avaient envoy� � Nicolas Z�rkinden, ch�telain du Simmenthal, l'ordre d'entrer dans le Chablais vaudois pour appuyer les valaisans contre les Italiens, dans le cas o� ceux-ci auraient pu forcer les passages du St-Bernard. A la nouvelle de la d�route des Italiens, Z�rkinden tourna ses armes contre le Chablais vaudois, battit le sire de Torrens et attaqua Pierre de Gingins, qui, pour ne pas �tre pris � dos par les gens de la Gruy�re, dut se replier sur la Tout-de-Peilz, o� il s'enferma avec 500 hommes. Z�rkinden arriva bient�t avec une nu�e de montagnards; il donna, mais sans succ�s, deux assauts � la Tour. Enfin, Pierre de Gingins, en combattant avec un courage d�sesp�r�, fut tu� sur la br�che; la place fut emport�e, et la garnison toute enti�re fut massacr�e; huit hommes �chapp�rent seuls la glaive des vainqueurs. Les Allemands entr�rent ensuite � Vevey, dont tous les habitants s'�taient enfuis, et livr�rent la ville au pillage et � l'incendie. Trois jours apr�s la mort de Pierre de Gingins, Z�rkinden quitta Vevey et la Tour, s'empara du ch�teau de Ch�telard, l'abandonna au pillage et le fit d�manteler. Non content de cet exploit, Z�rkinden frappa sur les ch�teaux voisins une contribution de 15,000 livres, qu'il distribua � ses soldats, et se retira dans son bailliage, laissant ce pays nagu�re riche et populeux, en proie � la plus affreuse d�solation.3.

Pendant le cours de ces �v�nements, le duc de Bourgogne h�tait ses pr�paratifs de guerre dans son camp du Loup. Lausanne �tait devenue le centre de toutes ses op�rations, et le rendez-vous des princes et des envoy�s des puissances. Le 6 avril arriv�rent les ambassadeurs de l'empereur d'Allemagne, suivis bient�t par les envoy�s de l'Electeur palatin, et ceux du duc de Milan. La r�gente de Savoie arriva aussi � Lausanne, et se logea dans le ch�teau de la Caroline, si�ge du Vicariat-Imp�rial, dont le jeune comte son fils exer�ait h�r�ditairement la charge. Ces grands personnages venait tenter un nouvel arrangement entre le duc de Bourgogne et les Suisses. On n'attendait, pour n�gocier, que la pr�sence du cardinal de la Rov�re, �v�que titulaire de Lausanne, neveu du pape Sixte IV, et son l�gat. Le St-Si�ge mettait un grand prix � soutenir la puissance du duc de Bourgogne, comme un contre-poids aux efforts de Louis XI, qui soutenait les libert�s de l'Eglise gallicane. Mais, ces esp�rances de paix s'�vanouirent bient�t : le cardinal de la Rov�re, venant d'Avignon, passa � Lyon, o� Louis XI le retint sous divers pr�textes, cherchant � l'intimider sur le but de sa mission. Le duc de Bourgogne, irrit� de ces manoeuvres, fit d�clarer au roi de France que s'il ne rendait pas la libert� au l�gat, il marcherait contre lui avec toute son arm�e. En m�me temps que le duc tenait ce language au roi de France, il fit dire au duc de Lorraine, qui se trouvait aussi � Lyon, o� il sollicitait les secours de Louis XI, que s'il voulait se retirer de la ligue form�e contre lui, il lui rendrait son duch� de Lorraine. Mais, ce jeune prince, plac� sous l'influence fran�aise, rejeta ces offres de paix; Louis XI lui donna une escorte de 400 lances, qui l'accompagn�rent en Alsace, o� il se r�unit aux troupes de l'archiduc d'Autriche, et rejoignit avec elles les Suisses � Morat.

Enfin, gr�ce aux intrigues incessantes de Louis XI, les conf�rences de Lausanne n'eurent aucun succ�s, et m�me elles ne purent s'ouvrir. Alors, Charles redoubla d'activit� pour r�organiser son arm�e, et pour concentrer ses nouvelles troupes qui lui arrivaient des Flandres et de l'Italie. La duchesse de Savoie faisait les plus grands efforts pour soutenir la cause du duc de Bourgogne; aux 8,000 hommes command�s par son beau-fr�re, le comte de Romont, elle ajoutait une lev�e de 4,000 hommes; elle fournissait l'arm�e bourguignone d'effects de campement, d'habillements, et mat�riel et de munitions, dont cette arm�e �tait d�pourvue depuis la d�route de Grandson.

Cependant, le Pays de Vaud, d�j� ruin� par les invasions des Suisses, �tait affam� par la pr�sences des arm�es, des gens de guerre, des chevaux, et des hommes de toutes les nations attach�s � la suite des princes et des ambassadeurs qui accompagnaient le duc. Ce prince ne manquait d'argent, et faisait payer toutes les fournitures et les vivres dont son arm�e avait besoin; n�anmoins, la disette de vivres parvint � un tel d�gr�, qu'� la fin de leur s�jour dans le Pays de Vaud, les soldats se virent r�duits � vivre d'herbes bouillies; cette disette fut encore augment�e par la station prolong�e de l'arm� au camp de Loup. Le duc, atteint d'une violente maladie au moment o� ses pr�paratifs de campagne �taient � peu termin�s, dut se faire transporter dans la ville de Lausanne, et fut retenu pendant six semaines dans une inactivit� qui lui fut d'autant plus fatale, qu'elle donna aux Suisses le temps de r�unir tout leurs moyens de d�fense.

Pendant la maladie de Charles, le comte de Romont guerroyait avec le comte de Gruy�re, auquel il prenait les ch�teaux d'Oron et de Pal�zieux. En m�me temps, le capitaine d'Orby, avec quelques mille Savoyards, s'avan�ait jusqu'aux portes de Fribourg, pour faire rentrer cette ville sous la domination de la maison de Savoie; mais d'Orby fut repouss� par les bourgeois et les troupes bernoises qui occupaient cette ville.

Charles, enfin r�tabli de sa maladie, passa la revue de son arm�e sur la plaine du Loup. Puis, le 27 mai, apr�s avoir fait mettre le feu aux baraques du camp, il se porta au village de Morrens, et d�ploya son arm�e sur le plateau d'Echallens et du Gros-de-Vaud.

De leur c�t�, les Suisses redoublaient d'activit� et h�taient leurs pr�paratifs de d�fense. Pouss�s nagu�re par Louis XI, par la Souabe, par l'empereur d'Allemagne, ils �taient maintenant r�duits � leurs propres forces et � quelques secours que leur envoyaient les villes d'Alsace et l'archiduc d'Autriche. Cependant, les Suisses se pr�paraient au combat pour les int�r�ts de toutes ces puissances, «et du sort des batailles qu'ils allaient livrer au vaillant bourguignon d�pendait le sort de l'Europe.4

A l'approche de Charles-le-Hardi, l'arm�e f�d�rale �tait rassembl�e en arri�re de Morat, au nombre 11,000 piques, 10,000 hallabardes, 10,000 arquebuses, et 4,000 cavaliers de l'Alsace. Le duc de Bourgogne, �galement avec 35,000 hommes, s'avan�ait le long de la vall� de la Broie, en d�tachant le comte de Romont et un corps de 12,000 hommes, avec l'ordre de se porter au del� de Morat, sur Montillier, afin de prendre en flanc l'arm�e suisse, et de s'emparer des hauteurs qui dominent Morat du c�t� de Fribourg.

L'histoire a d�crit la bataille qui se livra sous les murs de Morat; elle a rancont� la victoire qui immortalisa la vaillance des Suisses, et les pla�a au-dessus des premiers soldats de l'Europe.... La d�route des Bourguignons fut compl�te; le comte de Romont, d�tach� du champ de bataille, put seul op�rer sa retraite en bon ordre, en suivant le bord septentrional du lac de Morat, en passant le pont de Sugy, d'o� il suivit la c�te orientale du lac de Neufch�tel, et parvint � gagner Yverdon, Jougne et Pontarlier.

La journ�e de Morat fut fatale � Charles-le-Hardi; non-seulement il perdit 9,000 hommes tu�s sur le champ de bataille, un nombre rest� inconnu d'hommes noy�s dans les eaux du lac de Morat, plus de 1,200 nobles chevaliers, toute son artillerie et son mat�riel de guerre; mais, ce qui lui fut plus fatal encore, il perdit, dans la journ�e de Morat, tout le prestige qui, jusqu'� ce jour, avait entour� son nom, prestige que la d�route de Grandson avait � peine obscurci.

Charles, apr�s des prodiges de valeur sur le champ de bataille, apr�s avoir vu tomber � ses c�t�s l'h�ro�que duc de Somerset et ses plus intr�pides officiers, se fit jour, avec 3,000 cavaliers, au travers de la cavalerie allemande, dont les coureurs avaient d�j� atteint le village de Faoug, et parvint � Payerne, o� il s'arr�ta quelques instants. De cette ville il courut tout d'une traite jusqu'� Morges, o� il arriva dans la nuit, sans avoir prof�r� une parole, et n'ayant plus autour de lui qu'une douzaine de cavaliers.

Le comte de Romont et le r�gente de Savoie vinrent rejoindre � Gex le duc de Bourgogne. Le premier, afin de prendre ses ordres comme mar�chal de Bourgogne, et la r�gente, pour se concerter avec lui dans la conjoncture difficile o� ils se trouvaient l'un et l'autre. Charles, pr�voyait que Louis XI profiterait de ses d�sastres pour porter les derniers coups � sa puissance abattue, et se rendrait ma�tre des �tats du jeune duc de Savoie, pour priver la Bourgogne du seul moyen de refaire son arm�e. Aussi, il engagea la r�gente � le suivre en Bourgogne avec le jeune duc, pour faire cause commune avec lui et pour s'opposer � l'influence de Louis XI. Le comte de Romont et l'�v�que de Gen�ve appuy�rent fortement les instances du duc.

On ignore si la duchesse r�gente consentit � suivre le duc dans ses �tats, ou si, craignant que le parti fran�ais ne repr�t, � la cour de Savoie, la pr�pond�rance qu'elle n'avait pu combattre qu'avec l'appui de Charles de Bourgogne, elle voulut para�tre c�der seulement � la violence, afin de se m�nager une excuse aupr�s de son fr�re Louis XI. Quoi qu'il en soit, la r�gente retourna � Gen�ve, et fut enlev�e, avec ses enfants, aux portes de cette ville par les gens du duc de Bourgogne, et emmen�e captive en Franche-Comt�. Cependant, le jeune duc Philibert, son fils, fut enlev�, avant le passage du Jura, par son gouverneur, le sire de Rivarol, et ramen� � l'�v�que de Gen�ve, qui le conduisit � Chamb�ry.

La victoire de Morat fut signal de nouveaux d�sastres pour le Pays de Vaud. Apr�s deux jours de repos, 12,000 Conf�d�r�s inondaient, pour la seconde fois dans un an, ce malheureux pays, portant en tous lieux le feu et la d�vastation. Lausanne, qui, dans la premi�re invasion, s'�tait rachet�e par une forte contribution, ne fut point �pargn�e. Le comte de Gruy�re, qui s'�tait lanc�, avec ses vassaux, � la poursuite du duc de Bourgogne, arriva le premier dans cette ville, se fit donner cent �cus d'or pour lui-m�me, et leva une contribution en nature pour ses gens. Le lendemain, les troupes suisses arriv�rent, et pill�rent Lausanne, abandonn�e par la plupart de ses habitants, et enlev�rent tout sans respect ni pour les �glises, ni pour les couvents, ni pour les propri�t�s particuli�res.

L'arm�e se porta ensuite sur le Jura, et s'empara du ch�teau de St-Cergues. Alors, Gen�ve, le Faucigny, toute la Savoie, enfin, furent menac�s par les Suisses, partout pr�c�d�s de la terreur. Leurs avant-postes �taient d�j� aux portes de Gen�ve, lorsque Louis XI, intervenant tout-�-coup, les arr�ta. Ce monarque, d�s le commencement de la guerre, avait quitt� sa retaite du Plessis, et, d�s la ville de Lyon, il surveillait les �v�nements, pr�t � agir au moment favorable � ses int�r�ts. La victoire des Suisses � Morat avait couronn� le succ�s de ses intrigues : sans tirer l'�p�e, il avait abattu son puissant rival. Toutefois, il ne voulut pas que les �tats du jeune duc de Savoie, son propre neveu, devinssent la proie des Cantons. Aussi, d�s que sa soeur, le duchesse Yolande, fut enlev�e par le duc de Bourgogne, Louis XI s'empara de la tutelle de son neveu Philibert, et les Suisses, en arrivant aux portes de Gen�ve, rencontr�rent ses ambassadeurs, qui exig�rent une suspension d'armes entre les Cantons et la Savoie. Alors, les Suisses se dirig�rent sur la Franche-Comt�, qu'ils d�vast�rent, pendant que la di�te des Cantons, arr�tait avec Louis XI, que les conditions de la paix avec la Savoie seraient r�gl�es dans un congr�s, dont la r�union devait avoir lieu � Fribourg le 25 juillet.

Ce congr�s �tait compos� des �l�ments les plus oppos�s : c'�taient les chefs vainqueurs de Grandson et de Morat, d�put�s par les Cantons et par les villes d'Alsace; fiers de leur victoire, ils �levaient haut leurs pr�tentions. On y voyait les envoy�s de l'archiduc d'Autriche, ceux du comte palatin, ceux des �v�ques de B�le et de Strasbourg, le duc de Lorraine en personne; ces personnages voulaient pr�server de la ruine une maison princi�re contre l'avidit� des bourgeoisies suisses; ils voulaient, surtout, que les Suisses, en paix avec la Savoie, pussent tourner leurs armes victorieuses contre Charles, dont ils cherchaient � abattre la puissance en Alsace et en Lorraine. Enfin, on remarquait aussi les d�put�s des villes du Pays de Vaud et l'�v�que de Gen�ve, faibles repr�sentants de la maison de Savoie. Quant � Louis XI, quoique absent du congr�s, il en �tait l'�me cependant; son gendre, le prince de Bourbon, grand amiral de France, et le confident de ses plus secr�tes intentions, y assistait en son nom.

Berne voulait garder ses conqu�tes, le Pays de Vaud tout entier d�s St-Maurice � Coppet; m�me elle pr�tendait qu'on lui c�d�t Gen�ve pour prix de la ran�on que cette ville n'avait pas encore enti�rement pay�e. Le prince de Bourbon ne pouvant r�ussir � mod�rer ces pr�tentions exorbitantes, agit aupr�s des Cantons orientaux, dont il partvint � exciter la jalousie contre l'orgueilleuse Berne. Apr�s de longues discussions, souvent orageuses, le congr�s arr�ta que les pr�tentions des Cantons seraient revoy�es au jugement d'une cour arbitrale, compos�e du duc de Lorraine, du prince de Bourbon, du comte de Gruy�re et du chevalier Herter, d�put� des villes d'Alsace.

Enfin, le 14 ao�t 1476, apr�s vingt-deux jours de conf�rences, un trait� de paix fut conclu, sur les bases suivantes, entre les Suisses et la maison de Savoie :

TRAITE DE FRIBOURG

  1. Le Pays de Vaud, � l'exception des villes et des seigneuries r�serv�es par les Suisses, est restitu� � la maison de Savoie contre une indemnit� de 100,000 florins de Savoie, soit 50,000 florins du Rhin, mais sous la condition expresse que la baronnie de Vaud ne sera plus d�tach�e � l'avenir du duch� de Savoie � titre d'apanage, et que le comte de Romont en demeurera perp�tuellement exclu.
  2. Le duc de Savoie remboursera � la ville de Fribourg la somme de 25,600 florins du Rhin, solde des 44,000 gouldes que feu le duc Louis de Savoie s'�tait engag� � lui faire, lorsque la susdite ville de Fribourg, abandonn�e par son seigneur, l'archiduc d'Autriche, s'�tait volontairement donn�e au susdit duc de Savoie.
  3. Morat, Illens, Grandcour, Cudrefin, Cerlier, Montagny-le-Corbe, Grandson, Orbe, Echallens, les Ormonts, Aigle, Bex et toutes les communaut�s du Chablais vaudois jusqu'au lac L�man, restent en commun sous la souverainet� des huit Cantons conf�d�r�s et celles des villes de Fribourg et de Soleure.
  4. Gen�ve paiera aux Cantons suisses, � Fribourg et � Soleure, la ran�on qu'elle s'�tait engag� � leur payer � l'�poque de la premi�re guerre (1475).
  5. Le roi de France est libre et demeurera libre d'occuper la ville de Gen�ve par ses troupes lorsque bon lui semblera.



La maison de Savoie, dont les tr�sors �taient �puis�s, ne put payer aux Suisses les indemnit�s de guerre dont la frappait le trait� de Fribourg; aussi, fut-elle oblig�e de leur hypoth�quer le Pays de Vaud. D�s cette �poque, la ville de Berne, d�j� souveraine, ou excer�ant au nom des Cantons la souverainet� sur plusieurs villes vaudoises et sur un grand nombre de seigneuries de cette contr�e, ne cessa d'en couvoiter la souverainet� toute enti�re, et saisit, et m�me fit na�tre toutes les circonstances favorables � ses projets ambitieux5.


1De Gingins, Lettres, etc. 105 � 107.

2Extrait de Gingins, Lettres, etc., 108 � 112.

3Ce fut dans ces deux invasions que le ch�teau d'Aigremont, fief du seigneur de Pontverre, le ch�teau de Duin, dont les ruines dominent la plaine de Bex, et le ch�teau de St-Triphon furent d�truits, et que la noblesse des quatre mandements d'Aigle quitta cette contr�e. Berne, en prenant possession des quatre mandements, r�compensa les gens du Gessenay, de Ch�teau-d'OEx et des Ormonts, en leur conc�dant une partie des redevances f�odales de cette contr�e. Apr�s le trait� de Fribourg en 1476, les seigneurs du pays, les Compeis, seigneurs de Torrent et vidomes d'Aigle; les Rov�r�az, seigneurs d'Ollon et de St-Triphon; les Blonay et les Tavel, co-seigneurs de Bex; et les seigneurs d'Aigremont revinrent dans leurs foyers, et firent hommage � la ville de Berne, qui leur restitua une partie de leurs possessions. (F. de Gingins, D�veloppement de l'ind�pendance du Haut-Valais.)

4De Gingins, Lettres, etc.

5D'apr�s M. de Gingins, Lettres, etc.


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