Vaud, Switzerland GenWeb

Histoire du Canton de Vaud

Par Auguste Verdeil (1795-1856)

(Lausanne, Martignier et Compe., 1849-1852)



LIVRE TROISIEME


LE PAYS DE VAUD SOUS LA MAISON DE SAVOIE.

XIIIe-XVIe SIECLE.


Chapitre IV.

Louis II de Savoie, baron de Vaud.

1302-1349.

Les Vaudois dans les guerres de Dauphin�. - Si�ge de Corbi�res. - Jean, fils du baron de Vaud, tu� dans la bataille de Laupen. - Louis de Vaud, tuteur d'Am�d�e VI. - Rodolphe de Blonay, membre du conseil de r�gence. - Am�d�e VI surnomm� le Comte-Vert. - Les franchises des villes de la baronnie de Vaud garanties. - Franchises donn�es par les chartreux d'Oujon � la communaut� d'Arzier.

Louis de Savoie devint baron de Vaud � la mort de son p�re, en 1302. Chevalier �prouv� dans les guerres de France et d'Italie, il combattait pour son oncle Am�d�e V dans les luttes interminables que celui-ci eut � soutenir contre le Dauphin du Viennois, �poux de B�atrix, fille de Pierre de Savoie.

D�j�, depuis l'ann�e 1292, le Dauphin, second� par le comte de Genevois, r�clamait, les armes � la main, plusieurs fiefs du Faucigny et du Bugey, qu'il pr�tendait faire partie de l'h�ritage de B�atrix son �pouse. Chaque ann�e fut signal�e par une suite de combats, de si�ges de ch�teaux, de d�vastations de villages, dans lesquels les troupes du Pays de Vaud prirent une part active sous les ordres du fils du baron de Vaud. Le roi de France Philippe-le-Bel et le Pape intervinrent souvent, main en vain, dans ces guerres sans cesse renouvel�es. Dans l'ann�e 1313 la lutte recommen�a, et une guerre cruelle, qui �tendit ses ravages dans le Pays de Gex et jusque sous les murs de Nyon, d�sola les �tats de Savoie pendant plus de neuf ann�es. Le baron de Vaud livra maints combats, et fit plusieurs si�ges dans le Pays de Gex, alors couvert de ch�teaux forts. Apr�s s'�tre rendu ma�tre du Bugey, le comte de Savoie, en ao�t 1321, fit assi�ger le ch�teau de Corbi�res, fort situ� au bord du Rh�ne, et jug� imprenable.

L'arm�e assi�geante �tait principalement compos�e de sergents-d'armes (clientes) du Pays de Vaud, sous les banni�res des sires de Blonay, de Cossonay, de Pontverre et du comte de Gruy�re. Un compte de livraisons et de recettes faites par Guillaume de Castilione pour cette arm�e (pro exercitu quem tenuit dominus ante Corberiam) nous donne le nom des ch�tellenies qui lui fournirent des hommes: Moudon, 556 hommes; Romont, 500; Rue, 300; Les Cl�es, 256; Yverdon, 562; Morges, 337; Mont, 114; Nyon et Prangins, 280; Bonmont, 300; Payerne, 60; Morat, 42; Ch�tel-St-Denis, 56; La Tour-de-Peilz, 37. La ville de Berne, qui d�j� faisait un m�tier de la guerre, envoya, � titre de mercenaires, 40 arbaletiers et deux frondeurs � cheval. Neufch�tel fournit 200 mercenaires. Comme le si�ge se prolongeait et que le fort r�sistait � tous les assauts, on fit venir plusieurs de ces machines de guerre, qui, peu d'ann�es apr�s, furent remplac�es par le canon, lorsque l'usage de la poudre fut mieux connu. Gen�ve et Villeneuve en envoy�rent d'�normes. L'une d'elles �tait d'une telle dimension, qu'il fallut cinq paires de boeufs pour la transporter. Le ch�telain de Chillon, et un ing�nieur nomm� Bret, dirigeaient l'emploi de ces machines, qui ne tard�rent pas � battre les murs de Corbi�res et � lancer des projectiles dans cette place. Les assi�g�s lanc�rent des brandons enflamm�s sur les machines, que l'on dut recouvrir de cuirs fra�chement �corch�, pour les pr�server d'�tre br�l�es. Apr�s un si�ge de vingt-cinq jours la br�che fut ouverte par des mineurs allemands, et Corbi�res se rendit1.

Cependant, la guerre continua encore pendant deux ann�es. Enfin, en 1323, le Pape intervint; des conf�rences s'ouvrirent � Avignon, auxquelles assist�rent le Pape, Robert, roi de Naples, Am�d�e V, le Dauphin du Viennois, et Louis de Vaud. Mais elles n'eurent pas le r�sultat auquel on devait s'attendre; Am�d�e V, �g� de 74 ans, mourut � Avignon pendant leur cours, et termina un r�gne qui ne fut pas sans gloire.

Edouard, son successeur, ne r�gna que pendant six ann�es, toutes employ�es aux guerres interminables entre les maisons du Dauphin� et de Savoie, et dans lesquelles les Vaudois ne cess�rent de prodiguer leur sang. Edouard, mort en 1329, laissa ses �tats � son fr�re Aymon. Quant � Louis de Vaud, guerrier intr�pide, il prit part, avec les hommes d'armes de sa baronnie, aux guerres que le roi de France, Philippe-le-Long, soutenait contre Edouard, roi d'Angleterre. Dans cette guerre malheureuse pour les armes de France, «Louis de Vaud, nomm� gouverneur de Douai, alors assi�g�, p�n�tra dans cette place, en fit le si�ge, et laissa des preuves immortelles de son courage. Dans la bataille de Cr�cy, le baron de Vaud soutint avec ses hommes d'armes la retraite de l'arm�e fran�aise, et enfon�a la cavalerie victorieuse du prince de Galles2

Pendant que le baron de Vaud combattait pour la France, son fils, non moins brave que lui, perdait la vie sur le champ de bataille de Laupen, o�, malgr� les ordres de son p�re, ce jeune prince voulut combattre. La ville de Berne, d�j� puissante, avait pris possession de Laupen, fief de l'Empire, de Thoune et du Hasly; elle s'�tait empar�e de Diessenberg, de Guminen, de Landshut, d'Ecchy et de plusieurs autres ch�teaux; elle continuait � appeler dans ses murs des serfs auxquels elle donnait la libert� lorsqu'ils n'�taient pas r�clam�s dans l'espace d'une ann�e; enfin, elle accordait sa bourgeoisie � des vassaux et � des propri�taires de domaines, avides de se mettre � l'abri des exactions de leurs suzerains. Cette mani�re d'agir de Berne avait exasp�r� les grands feudataires. Mais leur indignation fut au comble lorsque Berne s'empara, en 1337, du ch�teau de Rossberg, le d�truisit avec toutes les circonstances d'un �pouvantable carnage, et refusa de reconna�tre la monnaie des comtes de Neufch�tel et de Kybourg, quoique la valeur et le cours de cette monnaie eussent �t� sanctionn�s par un d�cret imp�rial. Un congr�s de la noblesse eut lieu � Nidau, et une ligue contre Berne y fut jur�e. Cette ligue �tait compos�e des plus grands seigneurs du canton de Berne actuel et de l'Argovie, de l'�v�que de Lausanne, des comtes de Gruy�re, des comtes de Neufch�tel et de Valangin. La ville de Fribourg, d�j� rivale de Berne, dont elle voyait avec jalousie augmenter rapidement la puissance, se joignit � cette ligue formidable. Louis de Vaud fut engag� � y prendre part; mais ce prince, re�u depuis peu au nombre des bourgeois de Berne, d�sapprova le motif et le but de la ligue, et au lieu d'envoyer ses banni�res au camp de la noblesse, il donna l'ordre � Jean, son fils unique, de se rendre � Berne, puis au camp de la ligue, dans le but de tenter une m�diation. Les efforts de Jean de Vaud furent impuissants, et il se retirait avec les chevaliers de sa suite, lorsque les seigneurs de la ligue l'engag�rent � rester avec eux, et � prendre part au combat, qui devait avoir lieu le lendemain. Le jeune guerrier, dont la valeur avait d�j� �t� reprouv�e dans les guerres entre la France et l'Angleterre, h�sitait, balan�ant entre son devoir et ses go�ts belliqueux, lorsque les chevaliers saisirent son coursier par la bride et l'emp�ch�rent � partir. Alors il ne put r�sister � l'attrait des combats; et oubliant les ordres de son p�re, il resta avec sa suite au camp de la noblesse. Le lendemain, 21 juin 1339, la bataille fut livr�e, et apr�s une heure et demie d'une affreuse m�l�e, l'infanterie des bourgeois de Berne remporta la m�morable victoire de Laupen sur les cavailier bard�s de fer, �lite de la noblesse de l'Helv�tie. Jean de Vaud trouva la mort dans ce combat, o�, avec lui, succomb�rent G�rard de Valangin, trois comtes de Gruy�re, le sire d'Estavayer, en un grand nombre de seigneurs de l'Helv�tie allemande.

Le baron de Vaud, profond�ment afflig� de la perte du jeune h�ros, son fils unique, chercha, mais en vain, la mort dans les champs de bataille de la France, et ne revint dans la patrie de Vaud qu'en 1343, ann�e dans laquelle le comte de Savoie mourut, laissant ses �tats � son fils Am�d�e VI, �g� de dix ans seulement. Par son testament, Aymon avait nomm� Louis de Vaud et Am�d�e, comte de Genevois, tuteurs de son jeune fils, et institu� un conseil de r�gence, dont un Vaudois, Rodolphe de Blonay, fit partie. Le baron de Vaud fit donner � son pupille une �ducation aussi solide que brillante, et il eut la gloire de former un prince distingu� par ses vertus guerri�res et par ses talents administratifs. Sous la r�gne de ce prince le Pays de Vaud obtint des institutions lib�rales, acquit un haut degr� de prosp�rit�, et vit ses guerriers obtenir une illustre renomm�e.

Am�d�e VI, encore mineur, eut l'occasion de briller � la t�te de la noblesse et des hommes d'armes des villes et de ses �tats. Des seigneurs voisins du Pi�mont, profitant de la minorit� du comte de Savoie, tent�rent de s'emparer d'une partie de ses provinces d'Italie. Ils �taient sur le point de r�ussir, lorsque Louis leva une arm�e dans la Savoie et le Pays de Vaud, et la dirigea sur l'Italie. Le comte son pupille, � peine �g� de seize ans, se mit � la t�te des troupes, et suivi de sa principale noblesse, parmi laquelle figuraient au premier rang les banni�res des Grandson, des Cossonay, des Estavayer, des Gruy�re, des Gingins et des Blonay, il passa les monts et descendit dans les plaines d'Italie. A son approche, les ennemis disparurent, tout rentra dans l'ordre, et le jeune prince, pr�c�dant son arm�e, revint � Chamb�ry, o� il donna les f�tes les plus brillantes, des jo�tes et des tournois. Am�d�e ayant paru dans la lice magnifiquement par� de couleurs vertes, fut salu� du nom de Comte Vert, et se fit remarquer dans le tournois par sa gr�ce et par une adresse merveilleuse3.

Cependant, le baron de Vaud ne put jouir de la gloire que son bien-aim� pupille devait bient�t acqu�rir, il mourut en 1349, sans laisser de post�rit� m�le, et sa baronnie passa entre les mains de sa fille, la comtesse de Namur. D�j� dans l'ann�e 1340, et peu de mois apr�s la mort de son fils, tu� � la bataille de Laupen, le baron de Vaud voulut r�gler sa succession, et afin que les communaut�s de Vaud eussent des garanties sur leur avenir � l'�poque de sa mort, il manda aupr�s de lui des d�l�gues de la ville de Moudon, auxquels il fit part de ses derni�res volont�s. Les archives de Morges conservent encore la d�claration que, dans cette circonstance, Moudon envoya aux villes du Pays de Vaud4.

Nous, l'univeralit� et communaut� des nobles et bourgeois de Moudon, savoir faisons � tous que le noble et puissant Louis de Savoie, seigneur de Vaud, nous a requis de lui envoyer six ou huit personnes de notre communaut� pour r�gler certains choses concernant notre dit seigneur.

Voulant ob�ir et consentir � la volont� de notre dit seigneur, nous confessons et reconnaissons lui avoir envoy� le seigneur Antoine de Vulliens, chevalier, Thomas de Glane, Jean de Villis, Cunon et Jean Salane, Rolet Vionet, et Jacob Torrent, bourgeois de Moudon, lesquels nous ont rapport� que notre pr�dit seigneur leur avait dit avoir fait et r�gl� son testament, par lequel il instituait pour son h�riti�re universelle sa fille, la Dame Catherine, notre ch�re ma�tresse, et qu'il voulait que les susdites personnes pr�tassent � sa dite h�riti�re l�gitime pour les m�mes choses auxquelles on �tait tenu envers lui-m�me, ce que les pr�nomm�s ont jur� d'observer.

C'est pourquoi, pour nous et au nom de nos h�ritiers, louons, ratifions et approuvons tout ce que les susdits envoy�s ont jur�, et nous promettons de respecter le tout, et de l'observer inviolablement, en tant que les libert�s, coutumes, franchises dont nous avons joui jusqu'� pr�sent, nous demeureront toujours et perp�tuellement � nous et � nos h�ritiers dans leur force et vigeur... Donn� le 22 avril 1340 sous le sceau commun du bailliage de Vaud, et de celui du seigneur Antoine de Vulliens, chevalier.

A l'�poque o� les princes de la maison de Savoie accordaient des franchises aux villes, on voyait plusieurs seigneurs exempter leurs paysans de la taille et leur accorder des libert�s. Les couvents donn�rent l'exemple, et principalement ceux qui poss�daient des montagnes dans la cha�ne du Jura. Par ces concessions, ils parvinrent � fonder des villages dans des lieux o� jamais, sans elles, des hommes ne se seraient fix�s. Ce fut ainsi que la chartreuse d'Oujon, dans le but de mettre en valeur ses montagnes, donna, en 1304, des franchises � des hommes qui, dans son voisinage, fond�rent le village d'Arzier5.

Nous l'official de la Cour-Episcopale de Gen�ve, savoir faisons que par devant Pierre de Coinsins, notaire de notre cour, s'est sp�cialement constitu� Fr�re Pierre, Prieur de la maison d'Oujon, de l'ordre des Chartreux, en son nom et en celui du couvent de dite maison d'Oujon, a, non par force, dol, ni crainte induit, mais sachant et de leur bon gr�, c�dent, conc�dent et confessent d'avoir donn� et conc�d� � perp�tuit� � Pierre Marrugler, Argo dit Ros, Vullieme Cheval�, Aubert de la Channaz, Th�baud, Jean Seler, Reymond et Jordan de Begnins, Humbert de Bassin, Jaques de Peregre, Guillaume Vido de Marrens, Jean, fils de Pierre de Bierre, Jean Vittilict, St�phane de Vaud, Perret de Chaney et Perret de Begnins, et � leurs h�ritiers Abbergataires des dits Prieur et Couvent, habitant et demeurant au village d'Arzier, et � tous autres venant y habiter (conc�dent, etc.), la Libert� soit Franchise sous d�clar�e:

En premier, ils veulent, �tablissent et ordonnent, c�dent, conc�dent, que les dits habitants, eux et leurs h�ritiers soient francs et exempts de toute taille et complainte, sinon qu'ils proc�dassent de leur volont�.

Est r�serv� le bamp petit et grand � imposer par le dit Prieur ou Couvent, ou leurs commis, ou par les habitants eux-m�mes pour quelques causes raisonnables, savoir:

Si quelqu'un a fait une violente effusion de sang � un autre, et en quelque mani�re ou pour quelque cause que ce soit, qu'il soit tenu de payer aux dits Prieur et Couvent 60 sols,... sinon que gr�ce y intervienne.

Mais, qui aura frapp� un autre du poing, paie 3 sols; qui aura frapp� de la paume paie 5 sols; qui du pied paie 5 sols. Et chaque coup qui aura �t� prouv� par deux t�moins avoir �t� fait des dits members, soit puni de la peine sus tax�e.

Et si quelque homme ou femme en appelle un autre ladre ou punais, soit ladresse ou punaise, s'il ne se pr�sente pour le prouver, ou qu'il le prouve, doit payer 3 sols.

Et si un homme ou une femme appelle une autre ......., si elle est mari�e, il doit payer 5 sols; et si elle n'est pas mari�e, il doit payer 3 sols.

Et qui aura tir� quelque glaive que ce soit contre aucun malicieusement, soit puni � 3 sols; s'il l'a battu, il faut diligement consid�rer la mani�re et batture.

Et quant aux autres vices et mal�fices, on laisse � en ordonner au jugement des hommes sages et selon la coutume du pays.

(Suivent les conditions auxquelles la chartreuse d'Oujon conc�de des terrains aux Abbergataires.)

Or, quant � cette franchise et libert�, faite et c�d�e � la communaut� des dits Abbergataires, soit habitants, les Prieur et Couvent d'Oujon promettent pour eux et leurs successeurs, de leur tenir, accomplir, observer, maintenir, d�fendre, et aussi garantir les dit abbergataires, soit habitants, tous et un chacun, leurs biens envers et contre tous, etc.... Donn� pour copie, par moi Nicod de Gimel, le 18e devant les calendes de juillet, l'an du Seigneur 13046.


1Cibrario, t. II, p. 331.

2Guichenon, I, 394-401.

3Guichenon, t. I.

4Grenus, Documents pour servir � l'histoire du Pays de Vaud. - Archives de Morges.

5«Les moines qui voulurent livrer � la culture les vall�es du Jura, appel�rent dans les Joux-Noires de ces montagnes d'intr�pides d�fricheurs, auxquels ils abandonn�rent � perp�tuit� des terres et des habitations � titre d'abergement, moyennant des redevances, des cens, des d�mes, etc.» C. Duvernoy, de Montbeillard, Esquisses des relations entre le Comt� de Bourgogne et l'Helv�tie. 1839.

6Franchises d'Arzier. Tir� de la collection de Chartres et de Documents de M. D. Martignier, ancien pasteur d'Arzier.


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