Ile d'Ogoz - Bibliographie



Bernard de Vevey
«Châteaux et maisons fortes du Canton de Fribourg», XLVI. Pont-en-Ogoz
Archives de la Société d’Histoire du Canton de Fribourg, t. XXIV, Fribourg 1978, pp. 263-273.



Sur la rive gauche de la Sarine, en face de Pont-la-Ville, Pont, appelé aujourd’hui Pont-en-Ogoz, occupe une presqu’île arrondie formée par un méandre de la rivière, presqu’île reliée à la terre par un isthme étroit.

C’est sur cet isthme qu’était situé le château de Pont, actuellement en ruine, et qui protégeait ainsi du côté de la terre un petit bourg défendu naturellement des autres côtés par les falaises dominant la Sarine. Cet isthme était lui-même coupé dans toute sa largeur par un grand fossé qu’on ne pouvait traverser que par un pont-levis.

Pont est un haut lieu de l’histoire des châteaux fribourgeois. En effet, ce site était déjà occupé à l’âge du bronze, vraisemblablement aussi à l’époque de la Tène; il le fut certainement par les Romains, enfin on en connaît l’histoire assez précise dès le XIIe siècle. Comme il domine le cours de la Sarine de quelque 50 m il était facile à défendre, et c’était ainsi un lieu de refuge tout indiqué.

Aujourd’hui, le lac de la Gruyère a noyé toute la presqu’île de Pont, sauf son point le plus élevé où se trouvent la chapelle et les ruines du château. En 1945/1946, la construction du barrage de Rossens avançant rapidement et le lac artificiel allant être mis en eau, le Heimatschütz de la Gruyère, groupe de la Société fribourgeoise d’art public, s’est ému de cette situation, car le nouveau lac submergerait pour toujours des terres qui, certainement, devaient contenir de nombreux vestiges archéologiques. Aussi, fit-il faire des prospections sur les berges de la Sarine en 1945 et en 1946. La Société suisse de préhistoire et la Commission cantonale des monuments octroyèrent les subsides nécessaires pour entreprendre les travaux préliminaires.

MM. Karl Keller-Tarnuzzer, secrétaire de la Société suisse de préhistoire, à Frauenfeld, et H.-G. Bandi, du Musée ethnographique de Bâle, se mirent à l’oeuvre et firent des sondages qui donnèrent d’heureux résultats. Grâce aux photographies aériennes fournies par l’aviation militaire et aux détecteurs de mines du génie, un travail précis put être accompli à Pont.

Les sondages révélèrent sur le plateau de Pont, à une profondeur de 20 à 50 cm. de nombreux tessons de l’âge du bronze. Le Conseil d’Etat ayant accordé une nouvelle subvention, les recherches furent poursuivies en 1947, spécialement par des élèves de l’Ecole normale et des étudiants du Cercle universitaire d’archéologie, sous la direction de MM. Keller-Tarnuzzer et Ferdinand Rüegg. Dès le début, ce fut la découverte d’une foule d’objets, surtout des tessons, appartenant au dernier âge du bronze, mais d’autres aussi remontant au bronze moyen. Notons parmi les plus intéressants un outil d’os, quelques silex bien retouchés, des mortiers à blé, des pierres meulières; comme objets de bronze, une épingle à enroulement, une bague remarquable, un anneau assez grand et mince (anneau d’oreille ou bracelet?); enfin quelques perles de verre, typiques de l’âge du bronze, importées probablement d’Egypte. A plusieurs endroits, on a retrouvé les emplacements des pieux des habitations. Deux vases d’argile ont pu être complètement reconstitués. Le nombre considérable de tessons démontre qu’on se trouve ici en présence non pas d’un simple campement, mais bien d’un établissement stable et qui a duré assez longtemps, la presqu’île de Pont étant un véritable lieu de refuge, précédant la tête de pont qu’il deviendra dans la suite des temps.

Un pavement de galets en forme de rosace pourrait bien dater de l’époque de la Tène. Enfin, on a trouvé quelques débris de tuiles romaines à rebord et deux beaux morceaux de vases en terre sigillée décorés à la molette, datant de la première moitié du IVe siècle de notre ère (1).

On a ainsi la preuve que la presqu’île de Pont fut occupée de façon permanente de l’âge du bronze moyen à l’époque romaine, soit de l’an 1750 av. J.-C. environ jusque vers 350 de notre ère. Les Romains avaient établi un réseau routier assez serré dans nos contrées. Ainsi, de la Basse Gruyère, trois routes menaient à Avenches: l’une allait de Riaz par Vaulruz, Vuisternens-devant-Romont, Mézières, Châtonnaye, Montagny-les- Monts et rejoignait à Corcelles la grande route de la vallée de la Broye; deux autres routes couraient le long des rives de la Sarine: elles se rejoignaient par des embranchements secondaires et traversaient la Sarine par des gués (ou peut-être par des bacs) à Corbières, à Pont, Arconciel et à Châtillon. La Glâne était également passée à gué à Sainte-Apolline. Comme la Sarine est très étroite à Pont, on peut même se demander si le gué qui s’y trouvait n’a pas été pratiqué à l’époque préhistorique déjà. Des postes de vigie furent établis, à l’époque romaine déjà peut-être, sur la rive droite de la Sarine à Bertigny, Mallamollié, et sur la rive gauche au Vieux-Châtel et Vers-les-Tours, c’est-à-dire à l’emplacement du château de Pont.

Le gué a dû être remplacé par un pont au XIIe siècle déjà, et c’est ce dernier qui a donné son nom à la seigneurie de Pont, aux villages de Pont-en-Ogoz et d’Avry-devant-Pont, ansi qu’à Pont-la-Ville sur la rive droite.

Un premier pont semble avoir été construit sous le lieu-dit Vieux-Châtel, un peu en amont des ruines actuelles du château de Pont, en un endroit où la Sarine était resserrée à 20 m. entre les falaises et où l’on remarquait, sur la rive gauche, les traces d’un chemin qui descendait en serpentant vers l’emplacement du pont (2).

Un second pont fut construit à l’extrémité de la presqu’île de Pont, à laquelle il aura donné son nom, à environ 20 m en aval du confluent du ruisseau de Mallamollié, et où l’on remarquait encore des entailles dans le rocher de la falaise. Sur cette même rive droite, le chemin qui menait au pont existe encore jusqu’au niveau de lac. Sur la rive gauche, le chemin partait de la barbacane sise en contre-bas de la rangée de maisons du bourg et descendait en zigzag jusqu’à la rivière.

On ignore quand ces deux ponts ont été détruits. Il est vraisemblable qu’ils étaient en bois et établis trop bas sur l’eau, et comme le régime de la Sarine est essentiellement torrentiel, ils auront été emportés par une forte crue.

Un troisième pont, enfin, fut construit plus en amont, à quelque 200 m en aval de l’embouchure de la Serbache dans la Sarine. Aussi en bois, son existence est attestée dès 1490, année où Fribourg, venant d’acheter la seigneurie de Pont, entreprit les premières réparations connues.

Ce pont coûta cher à l’Etat; tous les 5 ou 6 ans, il fallut le réparer, ainsi en 1490, 1500, 1503, 1509, 1515, 1520, 1527! Fribourg payait la moitié des frais, l’autre moitié étant à la charge de l’évêque de Lausanne, seigneur de La Roche. Finalement on le reconstruisit en pierre en 1544: ce fut le pont appelé «pont de Tusy»; mais Fribourg fut seul à en assumer les frais, car entre temps La Roche était tombée entre les mains de LL.EE. Il est composé de trois voûtes surbaissées en tuf, s’appuyant sur des îlots de rocher et de petits promontoirs fomés par l’érosion de la Sarine. Ce pont est maintenant sous l’eau du lac!

On comprend que ces nombreuses destructions du pont aient frappé l’imagination de la population (certainement peu cultivée) et aient ainsi provoqué la naissance de la légende de sa construction par le diable. Celui-ci aurait bâti le pont de Tusy en une nuit et aurait demandé comme prix de son travail l’âme du premier être vivant qui le passerait. Le gouverneur de Pont-la-Ville, homme fort avisé, lâcha le matin suivant un rat que poursuivait un chat. Le diable, furieux du tour qui venait de lui être joué, aurait alors lancé un gros bloc de rocher pour écraser le pont, mais le bloc tomba à côté du but, dans la Sarine, où on pouvait encore le voir avant la mise en eau du lac. Cette légende est donc assez proche de celle qu’on raconte au sujet de la construction du Pont du Diable, sur la route du col du St-Gothard (3).

Pendant près de 800 ans, l’histoire de Pont est silencieuse. Au XIIe siècle, donc en pleine féodalité, nous trouvons la seigneurie de Pont constituée. Le premier seigneur connu est Ulric de Pont, témoin de la fondation de l’abbaye d’Humilimont en 1137 (4). L’acte lui donne un nom inusité: Uldricus dominus Pontis. Cet Ulric de Pont n’est connu que par cet acte. En revanche Lambert de Pont est bien authentique: il est témoin de la fondation de l’abbaye d’Hauterive en 1138; il fut chanoine de Lausanne et chancelier épiscopal (5): il est cité dans des actes jusqu’en 1154. Rodolphe de Pont fut aussi témoin de nombreuses donations faites à Hauterive (6) de 1138 à 1162. Il est l’ancêtre de toute la famille qui ne s’éteignit qu’à la fin du XV siècle, les derniers ayant été Claude, Pernète et Jacquemète, enfants de Vuillelme IX: ils sont cités encore en 1463, mais leur père était alors décédé (7). Nombreux furent ses membres qui embrassèrent l’état ecclésiastique: moines à Hauterive et ailleurs, puis évêque de Belley (France, dép. de l’Ain)(7bis). Les seigneurs de Pont étaient des dynastes féodaux ne dépendant pratiquement que de l’Empire, comme les sires de Glâne ou les comtes de Gruyère. Suivant la coutume observée en Suisse romande, dès la première moitié du XIIIe siècle, tous les membres de la famille exercèrent en commun leurs droits féodaux et furent qualifiés de «coseigneurs». En 1231, Guillaume III, coseigneur de Pont, vendit sa part du château et de la seigneurie à Conrad de Maggenberg (8) qui sera avoyer de Fribourg de 1257 à 1261 (9). Il résulte d’un document de l’année 1232 que les seigneurs de Pont étaient vassaux des comtes de Kibourg (10): seraient-ils arrivés dans la contrée à la suite de Berthold IV de Zaehringen qui les aurait installés à Pont comme point d’appui avancé en pays romand? Les Maggenberg étaient, comme on le sait, tout dévoués à la cause des Habsbourg après l’extinction des Kibourg. Ils ne gardèrent cette coseigneurie de Pont qu’à peine un siècle.

Le 23 juillet 1250, les seigneurs de Pont Guillaume (vraisemblablement Gauillaume IV, cousin germain de Guillaume III), Jacques, Pierre et Josselin, très probablement des frères, enfants de Rodolphe II, de Pont, prêtèrent serment de fidélité à Pierre II de Savoie, le Petit Charlemagne (11). D’autre part, Jean Richard et Berthold, fils de feu Ulric de Maggenberg, vendirent en juillet 1320 à Louis de Savoie, sire de Vaud, tous les droits féodaux qu’ils possédaient sur Pont (12). Un mois auparavant, Hartmann et Ulric VI, fils de Conrad Ier , coseigneur de Pont, avaient prêté hommage au même Louis de Savoie pour tous les biens qu’ils possédaient à Aran, dans la paroisse de Villette (13).

En 1293 ou 1294, mourut le dernier membre de la famille de Vivier, Conrad, qui avait été avoyer de Fribourg; ses héritiers furent les trois frères Pierre VI, Josselin II et Conrad Ier de Pont, fils de Jocelin Ier de Pont et d’Alix de Vivier. En 1364, le Petit-Vivy appartenait à Guillaume de Treyvaux, probablement par héritage de la famille de Pont; tandis que Pierre XI de Pont, petit fils de Conrad Ier, tenait le «vieux Vivy», soit le Grand Vivy (13bis).

L’exercice en commun des droits seigneuriaux, comme à Rue, à Font, à Estavayer, devait fatalement aboutir à un morcellement sans fin de la seigneurie de Pont. Tant que la seigneurie demeura en mains de la famille, le mal n’était pas grand car l’intérêt commun liait les coseigneurs, mais dès que l’une des branches tombait en quenouille, sa part était héritée par la seule fille survivante et passait à la famille de son mari. Celle-ci, souvent étrangère à la contrée, se défaisait de cette petite part de seigneurie parce que sans grand intérêt, et le morcellement continuait.

Au XIVe siècle, la famille de Pont était assez nombreuse et la seigneurie se morcela en un nombre impressionnant de parts.

Ainsi, en 1379, les coseigneurs de Pont étaient Guillaume, Aymon et Rodolphe de Pont, Girard de Corbières et Philippa fille de Jean de Corbières, Rodolphe de Langin (14) et Pierre d’Avenches. Les familles Franceis et de Billens y possédaient aussi des droits assez étendus. En 1452, la famille de Pont n’avait plus aucun droit sur son ancienne seigneurie. Les familles Mayor de Lutry, de Challant et de Prez se la partageaient alors. Au début du Xve siècle, Rollet Mayor de Lutry possédait, du chef de sa femme Philippa de Pont, la plus grande partie du bourg.

Mais finalement, la famille de Menthon acquit la presque totalité de Pont, tant au bourg que dans les villages qui dépendaient de la seigneurie. Le 19 novembre 1482, Antoine de Menthon vendit à Fribourg tous ses droits sur Pont pour le prix assez élevé de 16 000 florins de Savoie. les années qui suivirent, Fribourg acheta les autres parties de la seigneurie et érigea le tout en bailliage, le premier que possédèrent LL.EE. C’est vraisemblablement par l’acquisition de Pont que Fribourg entra en possession de la magnifique bannière aux armes des sires de Menthon qui est actuellement déposée au château de Gruyères (15).

Après que Fribourg eut acquis Pont et l’eut érigé en bailliage (le bailliage comprenait Pont, Villarsel-le-Gibloux, Estavayer-le-Gibloux, Ruyeres-St-Laurent, Villarlod, Orsonnens, Villars-d’Avry, Rossens, Avry-devant-Pont, Vuisternens-en-Ogoz, Fravagny-le-Grand et Fravagny-le-Petit), on y constate une institution assez spéciale, appelée la «seigneurie». Cette «seigneurie», qui n’avait aucun rapport avec une seigneurie en son sens féodal, était la réunion de toutes les paroisses ou communes du bailliage. Cette assemblée répartissait les prestations dues à l’Etat et percevait les impôts et tailles pour les remettre au bailli. Elle se réunissait tous les trois ans et élisait un banneret, quatre gouverneurs de paroisses et sept autres jurés: ces douze officiers composaient la justice de Farvagny (soit de Pont). On pouvait appeler à Fribourg des jugements de ce tribunal inférieur. Le banneret était aussi le gardien des droits et privilèges des gens du bailliage et portait la bannière en cas de guerre. C’était lui qui contrôlait les poids et mesures, recevait des gouverneurs l’ohmgeld, distribuait les marques de sel, choisissait les hommes pour les corvées, commandait les charrois, exigeait les bans, offenses et amendes, et enfin faisait les gagements, c’est-à-dire les poursuites (16).

A Pont, on devait certainement appliquer le droit vaudois, comme dans tout le Pays de Vaud. Aussi, le coutumier de Vaud fribourgeois, quand il fut promulgué en 1650, fut-il déclaré applicable au bailliage de Farvagny. mais en 1655 et comme à Vuadens, on ne sait pour quelle raison, le bailliage de Pont abandonna ce code pour adopter la Municipale de Fribourg.

Telle est, brièvement, l’histoire de Pont et de ses seigneurs. A la fin du XVIIIe siècle, il y eut une tentative de faire revivre non pas la petite ville de Pont, mais la famille des sires de Pont! En 1751, naquit à Lucens Louise, dite Lisette, Burnand, fille du pasteur Barthélemy Burnand, qui acquit dans la suite avec son frère Paul, marchand drapier à Moudon, la petite seigneurie de Seppey, près de Vuillens. Louise Burnand fut une femme intelligente, romancière et aussi poète, peut-être vaniteuse, en tout cas ambitieuse. En 1773, elle épousait Jean-Isaac Wullyamoz, capitaine au régiment d’Erlach en France, de plus de vingt ans son aîné; dès lors, elle vécut à Paris, où elle fut en contact avec les milieux de la cour, à Londres, en Hollande, dans le sud-ouest de la France, aux hasards des garnisons de son mari. Elle connut Mme de Staël. En 1790, elle perd son mari; elle-même n’a que 39 ans, et son fils Alphonse en a trois.

Depuis lors, elle voue toute son activité à donner à son fils une brillante éducation et n’a qu’un rêve, l’élever au rang de la noblesse... et elle y réussira!. Elle fouille les archives et les généalogies, et croit trouver qu’une branche de la puissante famille féodale des sires de Pont se serait établie à Vevey au XIIIe siècle, parce qu’elle avait possédé un petit fief (quelques dîmes) à Aran, dans la paroisse de Villette. Un membre de la famille Wullyamoz ayant porté le surnom de «du Pont», il n’en faut pas plus pour que Louise Wullyamoz-Burnand affirme que son mari appartenait à la famille des sires de Pont, et elle se fait appeler dès lors «baronne de Pont-Wullyamoz».

Mais arrive la tempête révolutionnaire. Demeurée très «ancien régime», Louise de Pont-Wullyamoz va s’établir à Vienne avec son fils, car c’est là seulement qu’elle croit pouvoir trouver des personnes de son «monde». A force de démarches et d’intrigues, elle finit par faire entrer son fils à l’Ecole des pages en 1805, où seuls les enfants de la noblesse avaient accès. Elle-même, grâce à son insistance, et aussi à son charme (son portrait la montre fort jolie femme), arrive à se faire présenter à la cour. Mais, épuisée par une vie débordante, et aussi par la misère, car elle a tout perdu depuis longtemps et ne vit que de quelques secours envoyés de Suisse, la baronne de Pont meurt en 1814, non sans avoir encore la joie de voir son fils accéder à la charge de chambellan de la cour.

Alphonse de Pont-Wullyamoz demeura à Vienne et sa carrière répondit en tous points aux ambitions les plus déraisonnables de sa mère. Page, chambellan, puis concipiste présidial, il devint secrétaire de légation, secrétaire privé de Metternich, conseiller aulique. En 1845, il fut créé baron par l’empereur d’Autriche, à titre héréditaire, avec confirmation des armoiries des sires de Pont. Il mourut en 1847, laissant trois fils et trois filles; la famille de Pont-Wullyamoz est aujourd’hui éteinte. Telle est la dernière survivance des sires de Pont, due peut-être à l’imagination fantaisiste d’une femme ambitieuse (17).

On pourrait encore y ajouter une survivance héraldique des sires de Pont, qui, elle, n’est pas fantaisiste. La famille Probi ou Proux, de Vevey, acquit comme tant d’autres, quelques droits féodaux ayant appartenu aux sires de Pont, et adopta les armoiries de cette dernière famille, en ajoutant cependant une fleur de lys entre les pattes du lion. Un rameau de cette famille s’établit en Valais sous le nom «de Preux». Disons enfin que la commune de Pont-en-Ogoz porte comme armoiries celles des sires de Pont, qui étaient déjà les armoiries du bailliage de Pont-Fravagny.

Le château de Pont était situé sur une petite éminence rocheuse qui ferme l’isthme très étroit qui relie à la terre la presquîle où se construisit le bourg de Pont. Il en défendait efficacement l’entrée du côté de la terre. Son existence est attestée en 1234 (18), mais il est bien plus ancien, le mode de construction étant nettement du XIIe siècle.

Il n’en reste malheureusement que peu de choses: deux tours en ruine et des pans de murs dont les plans ont été relevés lors des fouilles 1946/1948. la consruction était vaste, mais il n’est pas possible d’en faire une reconstitution: celle-ci ne pourrait être que fantaisiste.

Ce qui frappe immédiatement, c’est la présence de deux tours jumelles, distantes d’à peine 8 m. Il ne s’agit pas, comme à la Sarraz, d’une porte monumentale fortifiée, car la route d’accès au château semble bien avoir contourné celui-ci, en contrebas. On n’a pu expliquer d’une façon certaine le pourquoi de ces tours jumelles si rapprochées. Le prof. Reiners avait émis l’hypothèse, un peu difficile à croire, que deux frères de Pont auraient construit chacun son château (19). Il semble plutôt qu’ensuite des nombreux partages de la seigneurie, l’un des coseigneurs se serait construit une nouvelle tour, comme Ulric de Vuippens s’est fait élever la grande tour du château de La Roche, dans le prolongement direct du château primitif, et séparée de celui-ci par un simple fossé.

Ce tours sont carrées et s’élèvent encore jusqu’à la base du quatrième étage, qui était peut-être le dernier: le rez-de-chaussée et le premier étage sont aveugles; les ouvertures du troisième étage sont en plein cintre à une tour et en ogive à l’autre; elles ne sont donc pas contemporaines: l’une est certainement du XIIe siècle et l’autre du XIIIe. Le revêtement de pierres de taille n’est que très partiellement conservé: il a évidemment été utilisé comme carrière de pierres de taille par suite d’autorisations données par Fribourg en 1505 et 1592.

Pont n’a jamais été une paroisse. La chapelle de St Théodule se dresse sur la pente entre le château et la place du bourg. En 1453, lors de la visite pastorale de l’évêque Georges de Saluces, cette chapelle était déjà en un triste état, bien qu’on y célébrât la messe chaque dimanche (20). Actuellement, elle est fort délabrée et ne sert plus au culte, ce qui reste serait bien difficile puisqu’elle est située sur une île.

Lors des fouilles de 1946/1948, on trouva peu d’objets intéressants du Moyen Age sur l’emplacement du château: une clochette, des clés, quelques statuettes de terre cuite devant former le couronnement de poêles et de nombreux carreaux de faïence vernissée (provenant également de poêles des XIVe et Xve siècles), dont l’un avec des armoiries portant une aigle, probablement les armoirires des sires d’Oron qui furent coseigneurs de Pont de 1363 à 1385, enfin un jeton du jeu du XVe siècle.

Du côté de la terre, le château et le bourg étaient protégés par un large fossé. Le chemin qui conduisait au château et au bourg passait certainement sur un pont-levis et une poterne, dont on a retrouvé les restes, à droite du château. Il longeait la chapelle, bifurquait alors vers le château, et aboutissait à la place centrale du bourg. Ce dernier était groupé autour de cette place et comprenait un seul rang de maisons, au nombre de soixante environ; ces maisons étaient construites sur le pourtour de la presqu’île, en bordure immédiate de la falaise, comme la rangée extérieure des maisons du quartier du Bourg à Fribourg. Les maisons de la rangée sud étaient entièrement en pierre, tandis que les façades nord des autres maisons devaient être en bois, car ces façades ont complètement disparu. A l’intérieur de ces maisons, ou de ce qui en reste, on n’a rien retrouvé d’intéressant, sinon les marches des escaliers conduisant aux sous-sols.

Au centre de la place du bourg s’élevait un édifice asssez grand. La grande quantité de scories qui s’y trouve permet de supposer qu’il s’agissait une forge. De la place, le chemin ressortait du bourg à son extrémité opposée au château, sous la protection d’une importante barbacane placée en contrebas de la rangée des maisons, et de là gagnait le bord de la Sarine en descendant la falaise par un tracé en zigzag pour atteindre le pont qui traversait la rivière. Ce chemin existait encore partiellement avant la mise en eau du lac.

Maintenant plus rien ne reste de cette très petite ville retrouvée en 1946. Comme la cité du roi d’Ys, elle dort sous les flots, victime de l’industrialisation moderne. Seules les deux tours du château et la chapelle en indiquent l’emplacement et en conservent le souvenir.




(1) Sur les fouilles de Pont, voir Karl Keller-Turnazzer, Les fouilles de Pont-en-Ogoz, dans Ur-Schweiz 12/1948, p. 15-19. Bernard de Vevey, Les fouilles de Pont-en-Ogoz dans La Liberté No 264 du 15.11.1947 et Le Fribourgeois du 18.11.1947. Joseph Jordan, Les fouilles archéologiques de Pont-en-Ogoz dans La Liberté No 282 du 6.12.1947. Sans nom d’auteur Pont-en-Ogoz: Bereicherung des freiburger Geschichtsbildes, dans Freiburger Nachrichten No 274/48 du 27.11.1947.

(2) Il est bien entendu que ces constatations ont été faites avant la mise en eau du lac: on ne pourrait plus les faire aujourd’hui.

(3) Amédée Gremaud, Le pont de Tusy, dans FA 1897 pl. VI.

(4) L’authenticité de cet acte est contestée. Il ne s’agit pas en réalité d’un acte de fondation, mais bien d’une pancarte ou même plutôt d’une notice, dont l’original semble perdu, et qui n’est connue que par deux vidimus de 1525 et 1526, dressés eux-mêmes sur un vidimus douteux de 1302. Cet acte est publié dans MF II p. 236.

(5) RH No 10 et les références y sont indiquées.

(6) LD, ed. Gremaud No 7 et passim. AEF Titre d’Hauterive I No 2 etc.

(7) La généalogie (mns) de la famille de Pont a été établie par Hubert de Vevey, aussi complète qu’il est possible de le faire pour la période du XIIe au Xve siècle.

(7bis) D’après le Nécrologe d’Hauterive, il serait décédé en 1209 (voir aux 9 mai et 13 juin), ce qui semble bien une erreur.

(8) Ferdinand Rüegg, Conrad von Maggenberg, Miteigentümer der Herrschaft von Pont-en-Ogoz, dans FGB 48/1957-58 p. 161 ss

(9) Pierre de Zurich, Les avoyers de Fribourg jusqu’au début du XVe siècle dans AF 15/1927 p. 47.

(10) Ce document est publié par Rüegg, op.cit. p. 169-170.

(11) Wurstemberger IV p. 133 No 253 et 253a.

(12) MDS 2e série XIV p. 246 No 150.

(13) MDS 2e série XIV p. 246 No 151.

(13bis) AEF Anciennes terres 2 b. Ce texte est cité d’après NEF 1907 p. 2-3: RDF III p. 46 ss., spécialement p. 173 et 174.

(14) Par succession des Oron, et peut-être aussi en partie des Billens, sa mère étant Henriette, fille de Guillaume V d’Oron, seigneur de Bossonnens, et de Marguerite de Billens.

(15) Cette bannière est reproduite dans A. & B. Bruckner, Schweizer Fahnenbuch, St-Gall 1942, p. 89. Bruckner l’attribue à Georges de Menthon et elle proviendrait du butin de Bourgogne: ce n’est pas impossible, mais, dans ce cas, elle aurait été, semble-t-il, suspendue à l’église de St-Nicolas, à Fribourg, et aurait été reproduite dans le Fahnenbuch de Crolot.

(16) Joseph Schneuwly, L’organisation des communes dans le Canton de Fribourg, dans AF 4/1916 p. 122.

(17) René Burnand, Histoire de la dame en rose, Lausanne 1944. L’auteur admet sans autre les idées généalogiques de la «baronne de Pont-Wullyamoz». Voir également AHS 48/1934 p. 125. Les de Pont-Wullyamoz descendent peut-être de Girard II de Pont (1354-1405) dont l’arrière-petit-fils Etienne avait épousé J. Wullyamoz de Lausanne.

(18) MDR 1e série XXII p. 37 No 35.

(19) Reiners II p. 41.

(20) M. Meyer, Georges de Saluces, évêque de Lausanne, et ses visites pastorales, dans ASHF I p. 155 ss., spécialement p. 197. Pour l’histoire de la chapelle de Pont et des réparations qui y ont été exécutées, voir Tobie de Raemy, La chapelle de Pont-en-Ogoz, dans AF 18/1930 p. 102 ss. La cloche donnée par Jean-Ulric Gottrau en 1602 et portant les armoiries du donateur et de sa femme Marie Erhart est à nouveau placée dans le petit clocher.